«La traversée» est un film qui ressemble à «Etonnants voyageurs», ce festival crée en 1990 pour mettre en scène la littérature-monde. A chaque escale, «Dany le rouge» fait souffler sur ses rencontres filmées un vent d’air frais et de liberté. A un imam, il raconte une blague juive… que celui-ci, crispé, avoue hors caméras ne pas comprendre. Une jeune femme musulmane, un peu plus tôt, lui a confié ôter son voile sur son lieu de travail. Les paysans s’interrogent. Une réunion du Front national est racontée de l’intérieur par l’ancien eurodéputé écologiste. On se prend à imaginer que ce documentaire est consacré à un autre pays. On oublie l’hexagone.
Dany parle en Européen. A «Etonnants Voyageurs», où les festivaliers viennent d’ordinaire se frotter à des écrivains amateurs de terres lointaines, ce road movie réalisé en 2016 à travers la France montre combien le pays change… Sans changer. «Ce qui continue de me préoccuper, c’est la difficulté de débattre et de discuter sereinement en France poursuit l’ex député européen, qui sort ces jours-ci un livre consacré à sa passion du ballon rond «Sous les crampons, la plage» (Ed. Robert Laffont). Or ce pays avait besoin d’ouverture. On dira ce qu’on voudra, mais la société française est, depuis vingt ans, trop restée figée».
«2018 n’a aucun rapport avec 1968»
Le décor de Saint-Malo, ville corsaire, sied au discours de l’ancien leader étudiant de Nanterre, dont de Gaulle décréta l’expulsion durant les événements de mai 1968, le traitant «d’anarchiste allemand». Depuis, Daniel Cohn-Bendit, né en France de parents allemands et récemment naturalisé français, est devenu un personnage incontournable de la vie publique hexagonale. Alors, pourquoi refuser comme il le fait de parler de 68? A «Etonnants Voyageurs», le public l’assaille naturellement de questions sur ce fameux printemps. A l’oreille, alors qu’elle lui tend son ouvrage, une femme aux cheveux gris lui confesse qu’elle était «à ses côtés» dans le tumulte étudiant. Lui sourit. Le tutoiement rend l’échange facile, intime.
Mais non. Festival de littérature ou pas, «Dany» n’a pas envie de ressasser ses souvenirs sous le ciel azur de la Bretagne. «Imaginez la scène dit-il pour couper court aux demandes. Nous sommes en 68 et vous demandez à un poilu, vétéran de la grande guerre, de comparer son expérience à celle de la guerre du Vietnam qui tourmentait alors notre génération. Cela n’aurait eu aucun sens. Ces deux guerres n’avaient aucun rapport. Or 2018 n’a aucun rapport avec 1968. Les deux époques sont aux antipodes». Fin de l’histoire. A Saint-Malo, l’étonnant voyageur Daniel Cohn-Bendit poursuit, en communion avec le public conquis, son périple si singulier dans la vie politique française.
Pour en savoir plus: le site du festival