Une litanie factuelle sur laquelle les enquêteurs et les juges butent depuis son interpellation à Molenbeek, son ex-commune de résidence à Bruxelles, le 18 mars 2016. Impossible, en effet, d’obtenir depuis lors du présumé logisticien des massacres du Stade de France, du Bataclan et des terrasses de café commandités par Daech, autre chose qu’un silence obstiné.
Trois hommes terrés
Prévue pour se tenir jusqu’au 9 février devant le Tribunal de première instance, cette comparution judiciaire de Salah Abdeslam porte sur une fusillade avec la police survenue à Forest, une autre commune de Bruxelles, le 15 mars 2016, soit une semaine pile avant son arrestation. Trois hommes, ce jour-là, se terrent sans électricité, volets fermés, derrière la façade de briques peintes en blanc du 60, rue de Dries, à quelques centaines de mètres des immenses entrepôts de l’usine Opel et des voies du Thalys, le TGV qui relie Paris à la capitale belge. Salah Abdeslam, exfiltré en voiture vers la Belgique quelques heures après les attentats du 13 novembre, est alors recherché par toutes les polices d’Europe.
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L’Algérien Mohamed Belkaïd, alias Samir Bouzid, est l’un des «chauffeurs-logisticiens» clés de l’opération. Toute l’année 2015, il n’a cessé de se rendre en Grèce et dans des pays d’Europe centrale au côté d’Abdeslam, pour y chercher les futurs membres des commandos. Le Tunisien Sofiane Ayari, alias Amine Choukri, alias Mounir Ahmed Alaaj, s’est occupé des planques et a servi de lien avec l’autre cellule de djihadistes – celle des frères Bakraoui - qui se fera exploser le 22 mars 2016 dans le métro et à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem (32 morts, 340 blessés).
Tirs à l’arme lourde
Il est un peu plus de 15 heures lorsque les policiers stationnent leurs véhicules, ce 15 mars 2016, à proximité de la rue de Dries puis tentent de forcer la porte. Tirs immédiats à l’arme lourde. Trois enquêteurs belges et une Française sont blessés. Mohamed Belkaïd est tué par les forces de l’ordre, tandis que ses deux compagnons prennent la fuite par les toits pour rejoindre Molenbeek, où ils seront «logés» et débusqués trois jours plus tard dans un appartement en entresol de la rue des Quatre-Vents. En langage judiciaire, la fusillade est devenue «tentative d’assassinat sur plusieurs policiers et port d’armes prohibé dans un contexte terroriste». S’ils sont déclarés coupables, Salah Abdeslam et Sofiane Ayari risquent chacun 40 ans de prison.
L’avocat d’Abdeslam, Sven Mary – un pénaliste très médiatique adepte de la défense de «rupture» théorisée par le défunt Jacques Vergès, connu pour avoir plaidé la cause de l’islamiste Fouad Belkacem, leader du groupe Sharia4belgium –, avait obtenu un report de ce procès, d’abord prévu le 18 décembre 2017.
Possibles réponses à des questions restées jusque-là obscures
Les faits qui seront examinés iront, bien sûr, au-delà de la fusillade. Et peut-être permettront-ils de faire enfin la lumière sur des questions restées jusque-là obscures, y compris sur le fonctionnement de la police et de la justice belge. Première interrogation: la reconstitution du parcours de Salah Abdeslam durant ses quatre mois de cavale, entièrement passés à Bruxelles où deux de ses amis venus le récupérer à Paris le 14 novembre à l’aube (puis arrêtés et placés en détention) le déposent place Bockstael, au nord de la ville. Deuxième question: celle portant sur les dysfonctionnements de l’enquête belge, puisqu’un policier flamand de Malines avait, dès le mois de décembre 2015, indiqué l’adresse de la rue de Dries, transmise bien trop tardivement au parquet fédéral.
Troisième volet: l’étendue des complicités locales dont a bénéficié Salah Abdeslam, qui a grandi dans le milieu marocain de Molenbeek, où il gérait un café avec son frère Brahim (qui s’est fait exploser le 13 novembre boulevard Voltaire à Paris), et se livrait de longue date à toute sorte de trafics. Quatrième interrogation: l’enracinement des djihadistes et de la nébuleuse Daech en Belgique, où tout semble être parti de la cellule islamiste de Verviers (dans la région de Liège), contre laquelle la police donna l’assaut le 15 janvier 2015 sans parvenir à en neutraliser tous les membres, dont le coordinateur présumé des attentats de Paris, Abdelhamid Abaaoud. Cinquième point enfin, sur lequel un peu de lumière sera peut-être faite: le rôle exact d’Abdeslam le 13 novembre, sachant qu’une contre-expertise a démontré que son gilet d’explosifs était défectueux. Et que des lettres-testament retrouvées dans un ordinateur semblent démontrer qu’il voulait effectivement trouver la mort cette nuit fatidique.
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Premier rendez-vous judiciaire
Ce procès bruxellois de quatre jours est le premier des rendez-vous judiciaires prévus dans les mois et années à venir pour juger les dizaines de personnes incarcérées en France et en Belgique, pour leur participation directe ou indirecte aux attentats de Paris et Bruxelles. Il se tient alors que se poursuit à Paris, jusqu’au 14 février, le procès de Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Belhacen, qui avaient trouvé à Saint-Denis (nord de Paris) le logement dans lequel Abdelhamid Abaaoud, son complice Chakib Akrouh et Hasna Aït Bouhlacen (cousine d’Abaaoud) sont morts après l’assaut policier, le 18 novembre 2015.
L’organigramme exact des donneurs d’ordre et des commanditaires des attentats continue d’être complété. Vendredi 26 janvier, un nouveau suspect arrêté en Belgique, Mohamed Bakkali, 30 ans, a été remis à la France par la justice belge. Ce chômeur et petit trafiquant serait, pour les magistrats français, l’un des donneurs d’ordre décisifs, au rôle bien plus important que celui tenu par Salah Abdeslam. Il aurait supervisé l’arrivée en France des commandos du 13 novembre, organisant avec de faux papiers la location de voitures et leur hébergement dans deux endroits, à Bobigny et à Alfortville, près de Paris. Bakkali aurait ensuite loué la planque de Schaerbeek où les frères Bakraoui ont confectionné leurs explosifs avant de se faire sauter dans le métro et à l’aéroport de Bruxelles, le 22 mars 2016. Le creuset terroriste bruxellois commence tout juste, avec ce premier procès de Salah Abdeslam, à livrer publiquement ses secrets.