A Samarra, la fin de la lignée des imams chiites
le chiisme à travers ses lieux saints (6)
Le douzième imam, appelé aussi le Mahdi, a miraculeusement disparu dans cette ville au Xe siècle. Détruite par un attentat, la mosquée d’or a été reconstruite, mais est à nouveau menacée

A Samarra, la fin de la lignée des imams chiites
Islam Le douzième imam a miraculeusement disparu dans cette ville au Xe siècle
Détruite par un attentat, la mosquée d’Or a été reconstruite mais est à nouveau menacée
Le matin du 22 février 2006, une énorme explosion secoue la ville de Samarra, l’ancienne capitale des califes abbassides, au nord de Bagdad. Des explosifs ont été placés sous le dôme de la mosquée d’Or, qui s’effondre sur les tombes vénérées des dixième et onzième imams chiites.
Bien qu’Al-Qaida ait démenti toute implication, l’attentat porte le sceau du réseau terroriste qui vise à plonger l’Irak dans la guerre civile afin d’en faire un enfer pour les forces d’occupation américaines. Dès le lendemain, les représailles contre les sunnites et leurs mosquées se déchaînent. En quelques jours, on dénombre des centaines de morts. Un an plus tard, une autre attaque détruit les deux minarets de la mosquée de Samarra, achevant de précipiter le pays dans l’abîme.
Majoritaires en Irak, les chiites sont minoritaires à Samarra. Cela ne les a pas empêchés d’en faire une ville sainte, au même titre que leurs bastions de Najaf et Kerbala, dans le sud irakien. Car c’est à Samarra que la lignée des héritiers de Mahomet reconnus par les chiites s’est éteinte. Ali al-Hadi et son fils Al-Hasan, le dixième et le onzième imam, y avaient été exilés, loin de Médine. Les califes espéraient ainsi réduire leur influence, perçue comme une menace pour leur règne. Les deux imams sont connus sous le nom d’Askari, car ils étaient assignés à résidence dans un camp militaire (Askar) près du palais des califes.
Lorsqu’il meurt en 874, empoisonné par le calife selon les chiites, le onzième imam ne laisse aucun héritier. Plusieurs théories sont imaginées pour surmonter la crise de succession. L’une d’elles finira par s’imposer. Al-Hasan a bien eu un fils mais son existence a été tenue secrète pour le protéger. On raconte qu’à la mort de son père, un enfant de 5 ans est apparu pendant la cérémonie funéraire. Il aurait dit à son oncle que seul un imam pouvait diriger la prière pour la mort d’un autre imam. Alertés, les soldats accourent pour le tuer. Ils le recherchent en vain. L’enfant s’est volatilisé. Il a été vu pour la dernière fois dans une pièce (sardar) de la maison familiale. Il se serait enfui par un puits.
L’héritier n’avait pas pour autant disparu de la surface terrestre. Il continuait de répondre par écrit aux questions des fidèles via un représentant qui percevait aussi l’aumône. Mais, alors que l’absence se prolongeait, les chiites commençaient à douter. En 974, à la mort du quatrième intermédiaire, le dernier à avoir entretenu une relation épistolaire avec l’imam, l’expérience n’est pas renouvelée. C’est à ce moment que se forge la doctrine de la grande absence ou de l’occultation.
Pour échapper à la tyrannie et à l’oppression, le douzième imam, appelé aussi le Mahdi (le bien guidé), s’est donc retiré. Il reviendra sur terre pour mener les chiites à la victoire contre leurs ennemis. Depuis, les chiites vivent dans l’attente de son retour. Après l’occultation, les califes abbassides quittent Samarra pour revenir à Bagdad. La ville est oubliée de tous, à part des rares pèlerins qui viennent se recueillir sur la tombe des Askari. Ce n’est que trois siècles plus tard qu’une mosquée sera construite pour abriter les tombes. A cette même époque, une grotte sera aménagée juste à côté, reproduisant la pièce où le Mahdi a été vu pour la dernière fois. On y accède depuis le mausolée par la «porte de l’occultation», elle aussi détruite par les explosifs en 2006.
Les sunnites ont toujours considéré les chiites et le culte de leurs imams avec suspicion. A la fin de la dynastie abbasside, les califes en font les boucs émissaires de leurs propres échecs. Les chiites ne sont même pas considérés comme des musulmans par les courants sunnites les plus extrémistes. Frappés d’anathème par les salafistes, ils peuvent être tués au même titre que les chrétiens ou les juifs. Après le renversement de Saddam Hussein en 2003, la coexistence devient particulièrement difficile à Samarra. La ville est au cœur du triangle sunnite, au nord de Bagdad, la région du dictateur déchu. Choyée sous l’ancien régime, la minorité sunnite se retrouve marginalisée. Les sunnites refusent de participer aux élections qui consacrent la majorité chiite, préférant prendre les armes contre l’occupant américain et les traîtres chiites.
Avant la destruction de la mosquée d’Or, Samarra accueillait jusqu’à un million de pèlerins chiites par an. Mais, après les deux attaques, les forces américaines et irakiennes bouclent la ville. La reconstruction du mausolée est lancée avec le soutien de l’Unesco. Même si les travaux sont loin d’être terminés, le mausolée rouvre en 2009. On compte jusqu’à 1000 pèlerins par jour, 3000 les vendredis. Aujourd’hui, malgré les échafaudages qui recouvrent encore la mosquée d’Or, le chantier est presque achevé. Mais c’est l’Irak qui vacille. L’Etat islamique, l’héritier d’Al-Qaida, est aux portes de Samarra. Des obus sont tombés non loin de la mosquée convalescente. L’offensive des djihadistes vers Bagdad a été stoppée à la fin du mois de juin. Autour du mausolée, les miliciens chiites, certains revenus en hâte de la Syrie voisine où ils combattaient aux côtés de l’armée de Bachar el-Assad, ont remplacé les pèlerins.
Pour échapper à l’oppression, le douzième imam, appelé aussi le Mahdi, s’est retiré