Les Russes reçoivent des nouvelles de leur indéboulonnable président depuis l’étranger. Comme à l’époque soviétique, où les premiers secrétaires septuagénaires n’avaient jamais de problème de santé jusqu’à leur mort subite, pour des raisons jamais explicitées. Les nouvelles de la santé déclinante de Leonid Brejnev s’infiltraient en URSS par le biais de radios américaines en ondes courtes.

Il «travaille comme avant»

Aujourd’hui, le Kremlin semble redevenu aussi hostile qu’alors à dire la vérité, même s’il s’agit d’un souci de santé mineur. La contradiction vient des canaux diplomatiques, qui «officialisent» des rumeurs que le Kremlin cherche à taire. Le premier à avoir vendu la mèche mardi fut le dictateur biélorusse, un allié assez imprévisible de Moscou. Désolé de ne pas pouvoir jouer au hockey sur glace avec son homologue russe, Alexandre Loukachenko lâchait candidement à un journaliste de Reuters que Poutine «adore le judo [il est ceinture noire]. Il a soulevé un type, l’a jeté à terre et s’est tordu la colonne vertébrale». Le Kremlin a refusé de commenter cette information.

Et voilà le premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, qui en rajoute une couche vendredi matin, en mentionnant «la mauvaise santé de Poutine» comme cause du report de son voyage à Moscou prévu initialement en décembre. Les liens diplomatiques avec le Japon – pays avec lequel la Russie n’a jamais signé de traité de paix depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – ne sont pas des plus chaleureux. D’où la réponse brusque du porte-parole Dmitri Peskov: «Quand il [Noda] a fait cette déclaration, il ne disposait visiblement pas d’informations valables.» Le porte-parole du président indique que la visite de Yoshihiko Noda à Moscou est désormais prévue pour janvier. «[Poutine] travaille comme avant, et prévoit de travailler au même rythme», ajoute Dmitri Peskov.

Agé de 60 ans, le chef de l’Etat a cessé de se déplacer depuis le 5 octobre, ce qui est très inhabituel au regard de ses habitudes passées. Pour dissiper les rumeurs, le Kremlin a confirmé le premier voyage de Vladimir Poutine depuis deux mois. Le président russe se rend ce lundi à Istanbul pour y rencontrer son homologue turc, avec lequel les relations se sont détériorées à cause des positions opposées des deux pays sur le dossier syrien.

Les rumeurs sur la santé de Vladimir Poutine, dont les démonstrations de force physique sont une composante majeure de son image, ont surgi début septembre après qu’il eut été aperçu boitant et grimaçant lors d’un sommet à Vladivostok. Immédiatement, la presse a fait le lien avec le fameux vol en ULM que venait d’effectuer le président russe peu avant le sommet «pour guider un groupe de grues vers le sud», subodorant un incident au moment de l’atterrissage avec pour conséquence des problèmes de dos.

«Blessure sans gravité»

Des sources anonymes au Kremlin, citées quelques jours plus tard par la presse russe, ont évoqué un «problème de dos», et les conseils de médecins enjoignent au président de ne pas prendre l’avion. Mais la communication du Krem­lin a pendant plusieurs semaines démenti tout problème de santé et avançait des prétextes aussi variés que peu crédibles pour justifier sa quasi-disparition de la sphère publique. Avant de lâcher un peu de lest début novembre, en parlant de «blessure sportive sans gravité», histoire de gommer l’âge au profit du sport.

«Qu’un homme de 60 ans ait des soucis de santé ne surprend personne, juge un diplomate européen en poste à Moscou. Mais la volonté obtuse de dissimulation signale que bien peu de chose a changé depuis l’époque [du dirigeant soviétique Leonid] Brejnev. C’est cela qui surprend et inquiète.»

La santé du président russe est fatalement devenue le thème favori des discussions de l’élite russe et l’inspiration d’innombrables satires sur Internet. Ce qui fait moins rire, c’est la confiance en baisse des investisseurs envers un Kremlin toujours plus opaque. La fuite des capitaux atteint un rythme de 80 milliards de dollars par an et le premier ministre, Dmitri Medvedev, a admis mercredi que «nous n’avons pas encore réussi à améliorer le climat d’investissement». Un homme d’affaires français habituellement favorable au Kremlin résume l’inquiétude de la communauté d’affaires: «Poutine se présente comme le seul garant de la stabilité en Russie, mais il ne veut pas se départir de cette habitude KGBiste consistant à cacher au maximum son jeu. On n’a aucune idée de ce qui va se passer si sa santé ne lui permet plus de diriger le pays.»