Seconde Guerre mondiale: Moscou jette la pierre à Varsovie
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Les dirigeants russes relancent la polémique sur les responsabilités du déclenchement du conflit dont le 70e anniversaire est célébré mardi. Selon le Kremlin, le pacte germano-soviétique était une nécessité tandis que Varsovie porterait une lourde responsabilité dans le déclenchement des affrontements
Un pacte avec Hitler, oui, mauvaise conscience, non. Le premier ministre russe Vladimir Poutine a accepté de se recueillir ce mardi au côté de la chancelière allemande Angela Merkel au mémorial polonais de Westerplate, commémorant l’invasion brutale il y a 70 ans jour pour jour de la Pologne par l’Allemagne. Mais, à domicile, les télévisions russes multiplient les insinuations selon lesquelles Varsovie serait le fauteur de troubles, du moins un responsable occulté de la Seconde Guerre mondiale.
Quant au pacte germano-soviétique de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS (avec ses protocoles secrets incluant le partage de la Pologne) signé le 23 août 1939, il est désormais, selon l’historiographie officielle russe, considéré comme une conséquence «inévitable» des Accords de Munich.
La polémique monte depuis plusieurs années, mais l’éruption s’est produite lorsque l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié en juillet dernier une résolution plaçant Hitler et Staline sur un pied d’égalité. Dmitri Medvedev a vivement attaqué cette résolution dimanche en la qualifiant de «mensonge cynique». «Vous ne pouvez pas qualifier quelqu’un qui se défend d’agresseur», a déclaré le président russe. Sur la chaîne d’Etat Rossiya, Dmitri Medvedev a aussi affirmé que personne ne pouvait contester certains faits: «Qui a provoqué la guerre, qui a tué et qui a sauvé des millions de vies… qui a, en définitive, sauvé l’Europe?» L’URSS a perdu 27 millions de personnes au cours de la guerre, soit le plus lourd tribut en Europe.
Echangeant les rôles avec son président, Vladimir Poutine s’est fait plus diplomate en écrivant lundi dans le quotidien polonais Gazeta Wyborcza où il évoquait le massacre à Katyn de 22 000 officiers polonais par la police secrète russe. «Nous devons nous souvenir ensemble des victimes de ce crime», a écrit le premier ministre, non sans rappeler «le destin tragique des soldats russes prisonniers des Polonais pendant la guerre de 1920». A chacun sa faute.
Moscou estime qu’on entend trop, en Europe, la voix des «revanchistes» de la Nouvelle Europe, c’est-à-dire les pays Baltes et la Pologne. «Il existe une volonté de minimiser l’importance du rôle de l’URSS dans la victoire contre Hitler», s’insurge la politologue d’obédience nationaliste Natalia Narotnitcheskaïa. «Ce rôle est désormais minimisé dans les manuels d’histoire occidentaux» tandis qu’on «condamne le pacte germano-soviétique pour jeter l’anathème sur la Russie d’aujourd’hui».
Mais, côté russe, les manuels scolaires ne sont pas un exemple d’objectivité, car ils minimisent, voire font totalement l’impasse sur les livraisons d’armes américaines et britanniques à l’URSS à partir de 1941, sur l’importance cruciale du débarquement du 6 juin 1944 et sur le fait que les Etats-Unis combattaient simultanément un second adversaire non moins redoutable: le Japon. Le fait que la Seconde Guerre mondiale soit en Russie toujours aujourd’hui appelée «Grande Guerre patriotique» en dit long sur la volonté officielle d’occulter l’importance de l’effort de guerre réalisé par les alliés occidentaux. Le résultat? Un sondage publié hier révèle que seuls 22% des Russes savent que la Seconde Guerre mondiale a démarré en 1939 tandis que 58% pensent que la bonne date est 1941, lorsque la Wehrmacht a envahi l’URSS.
L’autre point concentrant le plus de polémique est la personnalité de Staline. Bien que le dictateur reste une personnalité très controversée en Russie, beaucoup l’associent toujours avec le rayonnement sans pareil du pays sur la scène internationale, son industrialisation rapide, massive et avec la paix sociale. Et, surtout, Staline est resté indissociable de la victoire sur les nazis. Le Kremlin ne fait rien pour dissiper cette vision très soviétique de l’histoire, car il tient absolument à ce qu’il existe dans le présent comme dans le passé une osmose entre le pouvoir et le peuple russe. Toute déclaration négative à l’encontre d’un dirigeant russe, particulièrement venant de l’étranger, est par conséquent perçue comme une attaque contre la Russie tout entière. Critiquer Staline revient donc à attaquer l’homme et le peuple qui ont fait chuter Hitler.
Dmitri Medvedev: «Vous ne pouvez pas qualifier quelqu’un qui se défend d’agresseur»