Au terme de huit ans de procédure, le Cavaliere est partiellement fixé sur son sort: 4 ans de prison. Plus de recours possible cette fois, car la condamnation devant la plus haute juridiction italienne, la Cour suprême de cassation à Rome, est définitive. Elle confirme les deux précédents jugements, celui de mai, cette année, et d’octobre, en 2012.

Cependant, la cour a renvoyé en appel, à Milan, l’interdiction de tout mandat politique de cinq ans prescrite par les deux verdicts antérieurs. Les magistrats statueront ultérieurement sur la peine politique: l’inéligibilité. Mais, pour la première fois, Silvio Berlusconi se voit condamné à une peine ferme. Même s’il n’ira probablement pas en prison, son invulnérabilité a vécu, et son parti politique, le Peuple de la liberté (PdL), si fortement lié et identifié à son charismatique leader, en subira aussi le contrecoup, de même que le gouvernement de coalition d’Enrico Letta.

L’affaire a commencé en 2001 avec une enquête fiscale sur le groupe audiovisuel de Silvio Berlusconi, Mediaset, qui révèle une fraude à grande échelle et l’existence de caisses noires. Entre 1988 et 1998, 280 millions d’euros auraient été soustraits au fisc italien. Pour les avocats de Silvio Berlusconi, les faits se seraient déroulés après 1994 alors que leur client avait rejoint la politique et quitté ses fonctions exécutives au sein du groupe Mediaset. En revanche, pour le juge Antonello Mura, qui a mené l’accusation auprès de la cour, «Silvio Berlusconi a coordonné et conçu le mécanisme de fraude et son contrôle sur Mediaset a continué après 1994».

En vertu d’une loi d’amnistie promulguée en 2006, seule une année sur les quatre sera retenue et, en raison de l’âge de Silvio Berlusconi, 76 ans, cette peine sera vraisemblablement commuée en arrêts domiciliaires ou en travaux d’utilité publique. Dans une intervention au quotidien proche de la droite italienne Libero, dimanche dernier, l’ancien président du Conseil, que l’anxiété empêchait de dormir selon l’un de ses proches, a prévenu qu’il refuserait «de se livrer aux services sociaux comme un criminel qui doit être rééduqué. […] J’irai en en prison.» Dans tous les cas, Silvio Berlusconi ne pourra se défiler et purgera, d’une manière ou de l’autre, une partie de la sentence.

Grâce au renvoi en appel en inéligibilité, le troisième, Silvio Berlusconi sauve son siège de sénateur, pour l’instant. La condamnation revêt néanmoins une portée symbolique qui aura des répercussions politiques. Le parti que Silvio Berlusconi dirige, le PdL, né de la volonté de ce dernier et de la fusion en mars 2009 entre Forza Italia (centre droit), l’Alliance nationale (droite conservatrice) et quelques petites formations, se trouve affaibli au sein de la coalition gouvernementale. Enrico Letta, le président du Conseil, a tenté de rassurer en louant la stabilité de son gouvernement, mais une partie de l’opposition pourrait ne pas accepter que le PdL décrédibilisé par la condamnation de son principal leader, conserve sa place au sein de la coalition au pouvoir.

Alfio Mastropaolo, professeur de sciences politiques à l’Université de Turin, croit toutefois possible que le Cavaliere rebondisse une fois de plus: «C’est un vrai professionnel de la politique, il ne l’abandonnera jamais. Son destin d’entrepreneur s’entremêle avec celui du politicien. Grâce aux protections et aux opportunités liées à l’exercice du pouvoir, il a fait fructifier Mediaset. Il se bat donc avec encore plus de détermination, pour sauver ses deux casquettes.» L’absence d’alternative au centre droit fait encore le jeu de Silvio Berlusconi, ajoute Alfio Mastropaolo: «La Ligue sans lui s’est effondrée. Le Peuple de la liberté est un panier de crabes, qui ne peut se passer de lui.»

Avec cette condamnation, une page de l’histoire italienne pourrait se tourner. Le Cavaliere, presque inoxydable, qui semblait inexpugnable de la scène politique, se retrouve poussé vers la sortie par les juges. Une revanche pour ceux qu’il n’a cessé de fustiger durant toute sa carrière politique. Mais, précise Alfio Mastropaolo, les Italiens ne lui tiendront pas tous rigueur de son délit: «Ceux qui suivent les chaînes télévisées de Mediaset voient dans cette condamnation une injustice et la preuve que la magistrature n’a cessé de persécuter un innocent.» Le verdict en demi-teinte, confirmation et renvoi en appel, traduit le sentiment que la fin du Cavaliere ne saurait être autre que politique. Pour Alfio Mastropaolo, «un politicien de cette carrure doit être défait dans les urnes, ce que ne peut faire le centre gauche. Ce n’est pas à la magistrature de mettre un point final à sa carrière politique.»

Plusieurs procédures judiciaires contre Silvio Berlusconi restent ouvertes. Condamné en juin à 7 ans de prison et à l’interdiction à vie d’exercer un mandat public, pour abus de pouvoir et prostitution de mineure dans l’affaire du Rubygate, il a interjeté appel. A Naples, il est poursuivi pour corruption, mais le jugement n’est pas attendu avant longtemps.

«Il n’abandonnera jamais la politique. Son destin d’entrepreneur s’entremêle avec celui du politicien»