Aucune source officielle n’a pour le moment donné d’explications sur ce retard, malgré les demandes d’économistes, de partis politiques et de journalistes. «Cela détruit la crédibilité de la banque centrale», s’inquiète l’économiste José Guerra, ancien responsable de recherche économique à la banque centrale du Venezuela (BCV).
«Depuis que l’on calcule l’inflation, il n’y avait jamais eu de retard de ce genre», ajoute-t-il. Le seul épisode similaire remonte à fin 2013, mais le mutisme n’avait duré qu’un mois: en pleine poussée inflationniste, le gouvernement socialiste du président Nicolas Maduro avait bloqué les chiffres de novembre, le temps de passer le cap des élections municipales.
Cette fois, «le gouvernement n’a pas voulu rendre publics les chiffres d’inflation de juin et de juillet», affirme José Guerra.
Caracas est pourtant membre du FMI
Pourtant, la BCV fait partie du système général de divulgation des données du Fonds monétaire international (FMI), ce qui l’oblige à fournir des statistiques de manière régulière et de bonne qualité, souligne l’économiste.
Pour Francisco Ibarra, directeur de la société de conseils en investissements Econometrica, «peu à peu les statistiques ont été utilisées pour leur donner une volonté politique», donc en les cachant quand cela n’arrange pas le pouvoir.
Mais «l’on ne peut pas cacher l’inflation, les gens le voient dans la rue» et «tôt ou tard, le FMI viendra tirer les oreilles du Venezuela, car une chose est de vouloir être un rebelle, une autre est de dissimuler l’information».
Difficile aussi d’occulter le fait que dans ce pays, tout manque. Les Vénézuéliens passent chaque jour des heures à faire la queue ou à sillonner les villes dans l’espoir de trouver du papier toilette, de l’eau en bouteille, du sucre ou des médicaments. Mais pas question de le reconnaître de manière officielle, donc aucun chiffre depuis quatre mois.
Les entreprises incapables de faire des prévisions
Le dernier rapport de la BCV sur la pénurie remonte à mars. La banque centrale avait alors indiqué que 19 catégories de produits de première nécessité souffraient de «sérieux problèmes d’approvisionnement».
Ce mois-là, l’huile de maïs était totalement absente, tandis que la farine de blé ou le lait étaient introuvables dans neuf établissements sur dix. Cacher les chiffres «n’aide pas l’économie», juge Francisco Ibarra. «La BCV ne fait qu’aider le gouvernement à dissimuler une situation difficile.»
De même, les chiffres de l’emploi et de la balance des paiements sont aux abonnés absents depuis le quatrième trimestre 2013. «C’est une politique voulue et cela n’a aucune explication rationnelle, ni sur le plan économique ni sur le plan institutionnel. Ils ne veulent pas de débat sur ces sujets», assure Francisco Ibarra.
Les entreprises sont parmi les premières victimes de ce flou savamment orchestré. «Il n’est pas possible de planifier l’avenir. Nous n’avons pas de chiffres pour l’inflation, la pénurie, la baisse du produit intérieur brut» (PIB), s’est plaint mercredi Jorge Roig, président de Fedecamaras, la patronale qui regroupe la majorité des entreprises privées.
Les économistes de Fedecamars, comme de nombreux cabinets de consultants, ont commencé à élaborer leurs propres statistiques pour compenser l’absence de chiffres officiels. Selon eux, le PIB a chuté de 4% au premier semestre et il devrait perdre 5% sur l’année.
Le gouvernement, lui, n’a toujours pas actualisé sa prévision pour 2014, qui était baignée d’optimisme il y a huit mois… tablant sur une croissance de 4%.