Que faut-il attendre du premier sommet Biden-Poutine? Lors d’une conférence virtuelle organisée lundi par le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), Paul Vallet dit en hyperbole ce que la rencontre ne sera pas: «Ce ne sera ni Yalta ni Helsinki.» Le chercheur et chargé de cours relève qu’à Yalta Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill avaient fait des concessions à Staline. A Genève, il ne sera pas question de lâcher du terrain. Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie, puis l’interférence russe dans les élections américaines de 2016, 2018 et 2020, les relations entre Moscou et Washington se sont fortement détériorées.

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Genève ne sera pas Helsinki non plus. Paul Vallet fait référence à la célèbre conférence de presse de juillet 2018 où l’occupant du Bureau ovale, Donald Trump, s’était aligné sur Vladimir Poutine, désavouant publiquement le renseignement américain, qui avait pourtant attesté de l’interférence russe dans le processus électoral outre-Atlantique.

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A un jour de l’événement, les attentes sont très limitées tant d’un côté que de l’autre. «Le seul fait que le sommet a lieu est une sorte d’accomplissement», relève le correspondant moscovite d’une chaîne américaine lundi au bout du Léman. Au cours des discussions, Biden et Poutine devront «clarifier où sont les vraies lignes rouges à ne pas franchir», souligne Dmitri Trenin, directeur du Carnegie Moscow Center.

Contrôle des armes nucléaires

Les Etats-Unis et la Russie possèdent plus de 90% des arsenaux nucléaires mondiaux. L’espoir, à Genève, est que les deux présidents décident d’entamer des pourparlers sur la stabilité stratégique de telles armes. Ils ont déjà décidé en début d’année de maintenir in extremis en vigueur le nouveau traité Start de réduction des armes stratégiques jusqu’en 2026. Mais au vu de l’évolution des armements, il y a urgence pour qu’un tel dialogue se mette en place.

Il est aussi un secteur où la coopération russo-américaine est possible: l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA). Tant Moscou que Washington souhaitent le rétablir et tous deux pourraient s’entendre même pour l’élargir à des questions comme les missiles balistiques et le rôle régional de l’Iran.

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Cybersécurité

C’est sans doute le thème le plus explosif entre Moscou et Washington. Le rapport Mueller a clairement mis en lumière l’interférence russe lors de la présidentielle américaine de 2016, qui vit la victoire de Donald Trump. Plusieurs installations stratégiques d’importance, des agences gouvernementales ont été piratées par des acteurs que les experts de Washington localisent en Russie. Le piratage récent d’un pipeline et de la multinationale de la viande JBS n’est pas attribuable directement au Kremlin, mais à des acteurs basés en Russie. Dans une interview diffusée lundi par la chaîne NBC, Vladimir Poutine a toutefois jugé «grotesque» de croire que la Russie mène une guerre informatique contre les Etats-Unis. Dans ce domaine, une désescalade est nécessaire, car un conflit majeur dans le cyberespace pourrait déboucher sur une guerre.

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Ukraine

C’est clairement le sujet qui fâche. Pour Vladimir Poutine, l’Ukraine est une ligne rouge. Il n’acceptera pas la moindre intervention américaine, ni des efforts pour pousser le pays dans les bras de l’OTAN. Du côté américain, on refuse toujours l’annexion de la Crimée, on affiche un soutien à Kiev, mais de fait, l’Ukraine risque de rester un conflit gelé pour longtemps encore. Certains Ukrainiens craignent d’être «lâchés» par le sommet de Genève. Ils peuvent être rassurés. Joe Biden vient de garantir au président ukrainien Zelensky un «engagement ferme» en faveur de la souveraineté du pays.

Biélorussie

Après le détournement d’un avion qui volait au-dessus de l’espace aérien biélorusse pour arrêter un journaliste et activiste, Roman Protassevitch, Joe Biden ne va pas se priver de dénoncer la répression brutale de l’opposition pro-démocratique. Quant à Vladimir Poutine, qui soutient à bout de bras Minsk, il ne cédera pas un pouce sur la Biélorussie, qui reste dans sa zone immédiate d’influence.

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Droits humains

L’argument des droits humains est perçu par le Kremlin comme un instrument de l’Occident pour saper la souveraineté de la Russie. Pour Joe Biden, peu importe. Il parlera sans doute de l’empoisonnement et de la détention d’Alexeï Navalny, de l’interdiction de son mouvement et du risque de fermeture de la radio présente en Russie et financée par Washington Radio Free Europe, qui fait face à une amende de 2 millions de dollars pour ne pas s’afficher clairement comme un «agent étranger». De son côté, Vladimir Poutine aura une riposte toute prête: il s’interrogera sur la résurgence du racisme dans le sillage de la mort de l’Afro-Américain George Floyd. Il a aussi déclaré que les émeutiers qui saccagèrent le Capitole le 6 janvier dernier n’étaient en fin de compte que l’expression de ressentiments politiques.

Syrie

Près de 3 millions de déplacés syriens risquent de mourir de faim dans la région d’Idlib. Le 10 juillet, le Conseil de sécurité de l’ONU doit voter pour maintenir ouvert un couloir humanitaire. Joe Biden pourrait convaincre son homologue de s’abstenir et de ne pas opposer son veto.

Relations diplomatiques

Elles sont très mauvaises. Chaque puissance a expulsé à tour de rôle des diplomates. Moscou a interdit l’espace de quelque temps aux citoyens russes de travailler pour une mission ou un consulat américain. A Genève, les deux leaders vont aborder le sujet. Pour le rétablissement d’une relation diplomatique stable, Biden et Poutine doivent s’entendre pour maintenir un canal de communication ouvert en permanence.