Le Kremlin lance un média planétaire

Russie Moscou a créé «Sputnik» pour «contrer la propagande occidentale»

L’agence de presse part à l’assaut de tous les continents

Si la Guerre froide est de retour, la première offensive globale russe vient de la sphère médiatique. Après avoir quasiment exclu à domicile la présence de médias étrangers ou d’opposition, le Kremlin se lance à la conquête du reste du monde avec une nouvelle agence de presse baptisée «Sputnik». Un mot russe signifiant «satellite», universellement connu depuis 1957, année où l’URSS a la première envoyé un satellite dans l’espace.

Sputnik est un projet ambitieux, qui sera à partir de l’année prochaine présent dans 130 villes, 34 pays et disponible dans 30 langues. Ce n’est pas qu’une agence de presse destinée à remplacer les deux piliers soviétiques RIA Novosti et l’agence TASS. Sputnik existera aussi sous forme de radio et fonctionnera en symbiose avec la chaîne télévisée d’information continue RT, déjà diffusée à travers le monde en anglais, en arabe et en espagnol. Et bientôt en français et en allemand. RT et Sputnik partagent la même rédactrice en chef, Margarita Simonyan, et sont incorporés au sein de «Rossiya Sevodnia» («Russie aujourd’hui»), qui appartient à l’Etat russe.

L’objectif du Kremlin a été énoncé lundi à Moscou par le directeur général de Sputnik, Dmitry Kiselev, lors de la présentation du projet à la presse et aux diplomates. «Nous visons ceux qui sont fatigués de la propagande agressive en faveur d’un monde unipolaire, et qui veulent une autre perspective.» Dmitry Kiselev ne nie pas faire de la propagande.

«La Russie offre un modèle pour le monde favorisant l’humanité», dit-il. S’en prenant aux Etats-Unis, il explique que «certains pays imposent leur volonté à la fois sur l’Occident et sur l’Orient. Ils provoquent des bains de sang, déclenchent des guerres civiles et des révolutions de couleur.»

L’effort financier consacré au projet médiatique, alors que le rouble s’effondre et que la croissance économique est quasi nulle, illustre l’importance accordée par le Kremlin à la conquête de l’opinion publique mondiale. Le budget de «Russie aujourd’hui» atteint, pour l’année 2015, 140 millions de dollars, presque le triple de ce qui était initialement prévu.

Nul doute que la Russie a besoin d’améliorer son image. L’annexion de la Crimée en mars et son rôle crucial dans le conflit du Donbass (qui a causé près de 4000 morts) ont terni l’image du pays, selon un sondage global rendu public lundi par Pew Research Center. Le sentiment au sujet de la Russie s’est dégradé sur les cinq continents: 72% des Américains et 74% des Européens ont désormais une opinion négative de la Russie, alors qu’ils n’étaient respectivement que 43% et 54% en 2013.

Pour remonter la pente, Vladimir Poutine a porté son choix sur Dmitry Kiselev, un présentateur de la télévision d’Etat, très controversé pour ses opinions conservatrices et homophobes. Le patron de Sputnik se distingue par une voix douceâtre, des manières ampoulées et s’exprime continuellement par des insinuations. Archétype du méchant de série B, il n’est peut-être pas dépourvu de charme, mais c’est un charme aux antipodes de l’apparence de franchise qu’aiment dégager les présentateurs occidentaux. Dmitry Kiselev s’est rendu célèbre au printemps dans son émission hebdomadaire à heure de grande écoute, lorsqu’il a susurré que la Russie pouvait à tout moment réduire les Etats-Unis à un tas de cendres radio­actives. Tout sourire sur fond de champignon atomique. Personnellement visé par les sanctions de Bruxelles, il est aujourd’hui interdit de séjour dans l’Union européenne.

Vladimir Poutine a toujours chéri les journalistes prompts à embrasser ses projets. Trois cents d’entre eux ont par exemple reçu des mains du président une médaille pour leur «couverture objective des événements de Crimée», peu après l’annexion. L’importance jouée par la télévision du Kremlin dans les troubles en Ukraine ne fait aucun doute. Lorsqu’ils saisissent un territoire, les groupes armés pro-russes prennent systématiquement le contrôle immédiat des antennes de radio-télévision pour couper toutes les chaînes ne prêchant pas la bonne parole.

Le site internet sputniknews.com fonctionne déjà. Sa ligne éditoriale ressemble à celle de RT. Bonnes nouvelles en Russie et chez ses alliés, mauvaises nouvelles dans le reste du monde. La version américaine offre un texte sur «l’année de la sécession», expliquant que Miami risque de se détacher de l’Etat de Floride.

«Nous visons ceux qui sont fatigués de la propagande agressive en faveur d’un monde unipolaire»