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Le statut de la Catalogne est «pris en considération» par Madrid

Les députés devaient donner mercredi soir leur feu vert à l'examen d'un projet très controversé d'élargissement de l'autonomie de la province. La droite conservatrice s'y oppose.

«A chaque fois qu'une de nos régions se renforce, c'est toute l'Espagne qui en ressort fortifiée.» Mercredi après-midi, face aux députés nationaux, le premier ministre José Luis Zapatero s'est évertué à rassurer les Espagnols à propos d'un sujet qui enflamme les esprits depuis des mois, l'«Estatut». Ou, dans un langage moins crypté, le projet de nouveau statut d'autonomie pour la Catalogne, approuvé fin septembre par le parlement autonome de cette riche région du nord-est du pays.

Considéré comme «fédéraliste» et «anticonstitutionnel» par les deux grands partis nationaux - le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le Parti populaire (PP) -, l'«Estatut» a vécu hier son épreuve du feu avec sa présentation aux «Cortés» à Madrid. Alors que le débat entre partisans («enthousiastes») et opposants («critiques») au projet a duré jusque tard dans la nuit, l'«Estatut» devait - sauf énorme surprise - recevoir de la part d'une majorité de députés un feu vert. Qui n'a cependant rien d'un blanc-seing. Il s'agit seulement d'un oui à sa «prise en considération». Concrètement, jusqu'à février 2006, le projet de statut catalan devrait être examiné à la loupe par des commissions mixtes (issues à la fois du parlement autonome et national), avant d'être soumis au vote final des députés et sénateurs espagnols, puis à un référendum en Catalogne.

Le débat parlementaire d'hier, houleux, passionnel et à fleur de peau, donne une idée du fossé qui sépare les forces en présence à propos de l'«Estatut» et des prises de position quasi irréconciliables. En Catalogne (où l'actuel statut est déjà très généreux), région dominée par une coalition nationaliste, les deux tiers de l'opinion soutiennent un texte clairement «fédéraliste» et, pour la plupart des experts, «non conforme» à la Constitution espagnole: dans son article premier, le projet définit la Catalogne comme une «nation»; prévoit une agence fiscale propre chargée de collecter et de gérer tous les impôts, y compris ceux sur le revenu; institue le devoir de parler catalan; et s'octroie la pleine autorité judiciaire, à travers un Tribunal supérieur de justice n'obéissant presque plus à l'autorité de Madrid.

En face, les conservateurs du Parti populaire (PP) - soit 42% des députés nationaux - estiment que ce projet n'est rien d'autre qu'une «réforme constitutionnelle déguisée» visant en réalité à «démembrer l'Espagne». Hier après-midi, le leader du PP, Mariano Rajoy, a rejeté avec virulence l'«Estatut» en accusant le socialiste José Luis Zapatero de «faire voler en éclats le consensus constitutionnel de 1978» et «l'esprit de la Transition». «Ce projet scandaleux doit retourner d'où il vient, et les députés catalans doivent tout recommencer à zéro», a martelé Mariano Rajoy, très applaudi par les 148 parlementaires conservateurs.

Entre ces deux pôles, les socialistes au pouvoir adoptent une délicate position intermédiaire, en espérant que «grâce au dialogue et à la conciliation», l'«Estatut» sera finalement approuvé, débarrassé de ses scories anticonstitutionnelles sans toutefois courroucer les autorités de Catalogne. Une véritable partie d'équilibrisme où Zapatero joue son va-tout. «Le premier ministre joue en effet très gros car, en encourageant un nouveau statut catalan, il nous a tous mis dans un sacré pétrin. Si, au final, ce statut n'est pas approuvé, faute de consensus, Zapatero, qui a fait un sans-faute jusqu'à présent, risque de perdre sa popularité et même sa légitimité comme chef de gouvernement», confie le politologue madrilène Enrique Gil-Calvo.

Pour beaucoup, ce texte fédéraliste venu de Catalogne est plus embarrassant encore que le défi lancé par les nationalistes basques. Au printemps, un projet voulant faire du Pays basque un «Etat librement associé à l'Espagne», calqué sur le modèle québécois, avait été rejeté par le parlement espagnol à une écrasante majorité. Depuis, ce plan «Ibarretxe» (du nom du chef de l'exécutif basque) a été quasiment enterré. Pour l'analyste Josep Ramoneda, «le statut catalan est bien plus difficile à manier, car il a été approuvé très largement en Catalogne». Surtout, même si sur certains aspects, il ne respecte pas la Constitution, les responsables catalans (à la différence des basques) se disent prêts à négocier. A Madrid, la situation n'en est que plus délicate, car un rejet de l'«Estatut» doucherait les grands espoirs suscités en Catalogne et provoquerait une tempête politique.