Le sud de la France se prépare à la sécheresse du siècle
CLIMAT
AbonnéAutour de Perpignan, on fait face à des pénuries d’eau historiques sans équivalent depuis le début des relevés météorologiques

Quand on arrive à Perpignan ces jours, deux choses surprennent: la végétation est déjà presque brûlée alentour et les conversations dans la rue tournent beaucoup autour de l’eau. On n’est pourtant qu’au milieu du printemps. Mais la réalité est implacable: une grande partie du Département des Pyrénées-Orientales est passé ce mercredi 10 mai en situation de «crise sécheresse», le plus haut niveau d’alerte existant dans le pays. Autour de la cité catalane, selon la préfecture, on fait effectivement face à des défauts d’eau historiques dont l’intensité et la durée n’ont pas d’équivalent depuis le début des relevés météorologiques en 1959 «et, probablement, bien au-delà». Le niveau des cours d’eau, des barrages et des nappes souterraines est au plus bas.
Cette décision a eu pour conséquence un nouveau renforcement des interdictions d’arrosage, de lavage de véhicules ou d’extérieurs, de remplissage des piscines privées et d’utilisation des jacuzzis ou spas. Toutes ces interdictions ne souffrent désormais pratiquement plus aucune exception. «La vente, la cession, la location ou la pose de piscines et bassins pouvant être directement installés par les particuliers» sont également suspendues. Toutes les fontaines, publiques et privées, sont évidemment mises à l’arrêt. Ces mesures concernent aussi les stations balnéaires bien connues de Barcarès, Saint-Cyprien, Argelès, Banyuls, Collioure ou du Canet-en-Roussillon. Des amendes pouvant aller jusqu’à 1500 euros sanctionneront les fraudeurs.
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Quelles que soient les pluies de ces derniers jours - la région est de nouveau celle qui en a le moins reçues - le déficit de pluviométrie reste très exceptionnel, environ moins 65% sur les douze derniers mois. L’hiver sans précipitations et les sécheresses de 2022 font que le département se retrouve dès ce printemps dans une situation que l’on ne rencontre habituellement que dans les crises arrivant au cœur de l’été. Quatre villages ont même été privés d’eau potable dès la mi-avril. «On commence à voir un développement des bactéries dans certains cours d’eau, compte tenu de leur faible débit», a par ailleurs affirmé le préfet Rodrigue Furcy lors de la conférence de presse de mercredi.
Gazon synthétique et jardins minéraux
Christian Coste, aménageur de jardins à la Pépinière Horticole du Midi, en périphérie de Perpignan, trouve ces mesures excessives: «Les amateurs de jardinage ne sont vraiment pas contents, ils sont habitués à économiser l’eau, à la récupérer de leur évier dans un bac pour arroser leurs plantes», nous assure-t-il. «Mais on répète tellement que l’eau va manquer que les gens ont peur. J’ai eu vent de personnes qui se faisaient engueuler parce qu’ils avaient acheté un plant de tomates.» Il affirme que les habitudes sont déjà prises, que les locaux, avec la tramontane [un vent méditerranéen] qui sèche tout, savent être «consciencieux». Il affirme vendre «en pagaille» du gazon synthétique et développer de plus en plus de «jardins minéraux».
Un peu plus proche du centre-ville, le square Bir Hakeim est déjà très sec et la pelouse vire au gris-beige. Un gardien assure qu’il ne l’a jamais vue comme ça à ce stade de l’année. «Et pourtant le goutte-à-goutte était branché tous les soirs jusqu’à hier. Je ne sais pas ce que ça va donner avec les interdictions, on n’en a jamais eu d’aussi strictes.»
«C’est une situation de crise comme le covid», lançait samedi le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, en visite dans les Pyrénées-Orientales. L’Etat «couvrira la perte de récoltes ou la perte de fonds», annonçait-il aux arboriculteurs susceptibles de voir disparaître non seulement leur récolte mais également leurs arbres. Le spécialiste en jardins Christian Coste s’inquiète aussi pour les piscinistes. «Ils vont faire comment pour vendre leurs piscines si on ne peut plus les remplir ou faire régulièrement l’appoint en eau? Vous savez, ici l’eau s’évapore très vite entre le soleil et le vent…»
Préserver les réserves pour les pompiers
Certaines plus petites régions de trois autres départements français (les Bouches-du-Rhône, le Gard et le Var) avaient déjà été placées en situation de «crise sécheresse» ces dernières semaines. L’idée est d’anticiper l’été afin d’éviter le plus de pénuries possibles sur les ressources vitales que sont l’eau potable et les réserves destinées aux pompiers. Deux grands incendies de forêt ont d’ores et déjà touché les Pyrénées-Orientales en ce début d’année, car la végétation y est logiquement très sèche ce printemps. «Aujourd’hui, on voit multipliés par deux le nombre d’incendies et par dix celui des surfaces affectées», a déclaré le préfet Furcy. Les soldats du feu en sont déjà à récupérer les eaux de certaines piscines pour les stocker dans des cuves à vin désaffectées.
Et le problème n’est pas passager. Fin mars, Emmanuel Macron avait annoncé un «plan eau» pour que le pays réussisse à faire baisser sa consommation de 10% à l’horizon 2030. En France, l’eau douce disponible a effectivement diminué de 14% en vingt ans à cause du dérèglement climatique, et tout indique que la tendance est partie pour durer.
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