Coronavirus
Codirectrice du Global Health Centre de l’IHEID à Genève, la chercheuse estime que, malgré les menaces américaines sur le financement de l’OMS, la coopération avec des instituts américains et l’agence onusienne va perdurer

Depuis des semaines, l’Organisation mondiale de la santé est montrée du doigt. Les fréquentes attaques de Donald Trump, qui veut retirer le soutien américain, fragilisent l’institution basée à Genève. Le point en quatre articles.
Lire aussi:
Codirectrice du Global Health Centre à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, Suerie Moon analyse le gel de la contribution américaine à l’OMS et le risque d’une deuxième vague de contamination.
Le Temps: Quel pourrait être l’impact d’une réduction du financement de l’OMS assuré par les Etats-Unis?
Suerie Moon: Il est difficile de savoir où et comment les coupes budgétaires pourraient être faites si elles devaient être entérinées. Car le financement américain de l’OMS est très fragmenté. Il vient du Département d’Etat, mais aussi des Instituts nationaux de santé (NIH), des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), voire du Pentagone. Difficile donc de dire où les fonds pourraient être retenus, mais aussi quel sera le rôle du Congrès. La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a déjà annoncé que le Congrès allait contester la décision de l’administration Trump. Une chose est sûre: couper les fonds à une organisation qui coordonne la riposte globale à une pandémie sans précédent est extrêmement dangereux et à courte vue.
Lire aussi: «Avec le coronavirus, les Etats-Unis courent au désastre»
Faut-il craindre une fin de la coopération entre l’OMS et les Etats-Unis?
Que l’administration Trump ait très mal géré la crise du coronavirus ne fait aucun doute. Cela se traduit dans le nombre d’infectés et de morts. Même avec un financement américain réduit, je ne suis pas sûr que la coopération entre les CDC et l’OMS, qui est très étroite, va s’arrêter, mais elle sera plus difficile. Les CDC demeurent une agence de santé public de premier plan avec des scientifiques du monde entier. Les NIH resteront un acteur majeur contre les pandémies, dans la création de vaccins. C’est de loin le plus important bailleur de fonds de la recherche biomédicale dans le monde.
A-t-on aujourd’hui une image plus claire de la manière dont Pékin a géré la crise du coronavirus?
La Chine a partagé relativement rapidement des informations sur les mesures prises, les cas dépistés et les traitements médicaux appliqués. Elle vient de réviser le nombre de victimes à la hausse et c’est vrai, des questions se posent quant à l’exactitude des chiffres. Mais nombre de pays ont les mêmes problèmes. Même en Suisse. Là où on a peu obtenu d’informations de Chine, c’est au sujet de l’impact qu’a eu la suppression du débat public. Un nombre de défenseurs des droits de l’homme ont disparu en Chine ces derniers mois. Ce qu’on ne sait pas non plus, c’est l’impact socioéconomique de la gestion chinoise du coronavirus. La Chine est un pays où il y a d’énormes inégalités. Il y a des milliardaires à Shanghai, mais il y a aussi des gens dans les régions rurales qui vivent dans l’extrême pauvreté. L’interrogation concerne d’autres pays aussi.
Lire également: Suerie Moon: «Le monde n’est pas prêt à affronter une pandémie»
Le directeur des CDC aux Etats-Unis prédit qu’une seconde vague de Covid-19 l’hiver prochain pourrait être pire que la première…
C’est une vraie inquiétude. La plupart des pays n’ont pas les capacités suffisantes de dépistage, ni le système de surveillance et les équipes en place pour vraiment tracer le virus en temps réel. Ce qui jouera un rôle majeur, c’est la manière dont les gouvernements lèveront les mesures de confinement. S’ils le font progressivement, avec un contrôle efficace, cela peut bien marcher. La Suisse, à ce titre, peut être fière de la politique menée. Aux Etats-Unis en revanche, la remise en question du confinement par certains citoyens pourrait accélérer la pandémie. Tout est une question de confiance dans les autorités. Si elle est là, le public suit. Sans cela, c’est très compliqué.
Sur le même thème: «La vulnérabilité financière de l’OMS complique sa capacité d’action»