Moscou a choisi un moment opportun pour la désescalade, jugent de nombreux observateurs russes. Selon Rouslan Poukhov, directeur du Centre d’analyse stratégiques et technologiques, la date choisie par le Kremlin pour un retrait partiel s’explique par plusieurs facteurs. «Poutine a promis que l’opération serait limitée dans le temps et ne conduirait pas à un enlisement comme en Afghanistan. Ensuite, les conditions climatiques vont se dégrader, avec la chaleur qui réduit la capacité de chargement des bombes dans les avions. Les tempêtes de sable vont aussi contribuer à réduire l’efficacité des bombardements. En outre, nous avons bombardé la plupart des cibles pertinentes.»

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Les attaques de l'aviation russe destinées à l’opposition à Bachar el-Assad

L’opération syrienne comporte un caractère fondamentalement nouveau, poursuit Rouslan Poukhov. «Pour la première fois, les militaires russes ont compris qu’ils pouvaient arriver à des résultats uniquement avec l’aviation. C’est une révolution dans les mentalités, car jusque-là, ils se moquaient toujours des interventions militaires américaines ou européennes, car ils jugeaient impossible une victoire sans intervention terrestre.»

Reste que Moscou est loin d’avoir réduit l’Etat islamique (Daech) en cendres, puisque l’aviation russe s’est essentiellement concentrée à frapper l’opposition à Bachar el-Assad. «Moscou a transformé la situation sur le terrain. Les forces syriennes ne font plus face à 56 fronts comme au début et peuvent concentrer leur offensive sur juste trois ou quatre fronts», note Kirill Koktych, professeur de théorie politique au MGIMO.

L’autre grand objectif du Kremlin, dont on ignore s’il a été atteint, est la destruction des combattants islamistes venus des pays de l’ex-URSS. Ils seraient au nombre de 2000, selon le Ministère russe des affaires étrangères. Le Kremlin ne cache pas son inquiétude devant l’éventualité de leur retour.

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Vladimir Poutine s’en tire à bon compte, sans avoir essuyé des pertes humaines significatives. Celles, infligées par l’aviation turque qui a abattu en novembre un bombardier russe, furent le résultat d’un «coup de poignard dans le dos», selon son expression. Or, la probabilité de pertes augmente. Des missiles antiaériens seraient récemment – et pour la première fois – parvenus aux opposants syriens avec l’assistance d’Ankara et de Riyad. Damas a perdu le 12 mars un chasseur Mig-21, probablement abattu par un missile tiré par l’opposition.

Se hisser au même niveau que les Etats-Unis dans les affaires internationales

Dans les cercles diplomatiques, l’aventure syrienne de Moscou est décryptée comme une étape dans un objectif de longue haleine consistant à restaurer une parité – au moins symbolique – avec Washington dans la conduite des affaires internationales. «Vladimir Poutine n’est pas focalisé sur le sort d’Assad. Ce qu’il veut, c’est être traité comme un égal par le président américain. Le fantasme russe consiste à se partager le monde avec les Américains, comme du temps de Yalta», confie une source diplomatique.

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Une analyse partagée par l’expert en relations internationales Vladimir Frolov. «Le but stratégique de l’opération syrienne était donc la renaissance du format bipolaire russo-américain. Depuis Moscou, ce format de relations avec Washington est l’élément clé définissant le statut de puissance globale. C’est aussi ce qui devrait permettre de former un instrument de régulation prévisible et préventif menant à la stabilisation d’un système sortant du monde unipolaire vers un nouvel ordre mondial. La coopération russo-américaine en Syrie peut et doit devenir un modèle pour la résolution des conflits régionaux et la lutte contre le terrorisme.»

La résolution d’autres conflits épineux, comme celui du Donbass en Ukraine, sera un test crucial pour cette nouvelle bipolarité tant désirée par Vladimir Poutine.