Les avions britanniques et allemands sont entrés dans le conflit; à bord du Charles-de-Gaulle, François Hollande a fini de revêtir l’uniforme militaire; la Russie s’enorgueillit d’avoir procédé, en une seule semaine, à plus de 1000 frappes aériennes: trois semaines après les attentats de Paris, la guerre en Syrie n’a jamais semblé aussi intense.

Mais en parallèle de cette unité affichée, au moins en façade, contre les positions de l’organisation de l’Etat islamique (Daech), c’est presque une «autre guerre» qui s’accentue, elle aussi. En prévision d’une reprise des pourparlers diplomatiques – dont l’issue reste très incertaine – les acteurs sur le terrain, dans tous les camps, tentent d’avancer leurs pions. L’armée syrienne aurait à nouveau recruté de force plusieurs milliers de jeunes hommes. Dans le nord, l’Armée de la conquête, une coalition rebelle épaulée par la Turquie et certains Etats du Golfe, a aussi sonné la charge, tandis que les Forces démocratiques syriennes, mises sur pied avec le soutien des Etats-Unis, multiplient les actions pour ne pas être en reste.

La guerre contre l’Etat islamique et l’autre, celle qui voit s’affronter des centaines de milices au gré d’alliances fluctuantes, sont-elles liées? C’est une évidence. En convainquant les parlementaires britanniques de rejoindre la coalition anti-Daech, le premier ministre David Cameron assurait que, le moment venu, 70 000 combattants étaient prêts à venir finir le travail des avions de la coalition pour déloger une fois pour toutes les djihadistes de leurs places fortes en Syrie.

Qui sont ces dizaines de milliers de rebelles «modérés» qui n’attendraient que le signal de départ de Londres et de la coalition? Le chercheur Kayle Orton a fait le décompte. Si, d’une certaine manière, le compte y est, ces opposants «modérés» se battent toutefois aujourd’hui principalement contre le régime de Bachar el-Assad, note-t-il dans une étude que vient de publier The Henry Jackson Society.

Les termes de l’équation ont ressurgi au grand jour à la suite des attentats de Paris et des velléités affichées par François Hollande de réunir une «large coalition» contre Daech, regroupant aussi bien les Russes que les Occidentaux: sans une intervention terrestre, les frappes risquent fort de rester inopérantes. Or, pour rassembler une armée de combattants sur le terrain, il faudra leur donner des garanties sur la Syrie de demain, non seulement débarrassée des djihadistes de l’Etat islamique, mais sutout du principal ennemi, qui reste le régime de Bachar el-Assad.

Cette équation reste pour l’instant insoluble, tant les objectifs des uns et des autres est différent. C’est dans ce contexte que devrait se tenir une première réunion, la semaine prochaine. Les cartons d’invitation sont déjà partis, même si la date exacte reste encore floue. Il s’agit de réunir les principales composantes – autant politiques que militaires – de l’opposition syrienne afin d’harmoniser les positions, en vue de négociations futures.

L’Arabie saoudite est entrée à reculons dans ce jeu, défini lors des discussions qui se sont tenues à Vienne, juste après les attentats de Paris. Et pour cause. Pour Riyad, c’est la quadrature du cercle: les Saoudiens soutiennent eux-mêmes certaines des factions en lutte en Syrie, et pas toujours les plus présentables d’entre elles. D’entrée, le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, a été exclu du jeu, ainsi bien sûr que l’Etat islamique. Mais la Turquie ne voulait pas entendre parler non plus d’une présence des combattants kurdes, pourtant essentiels sur le terrain. Officiellement, toutes les personnalités et groupes invités doivent s’engager à respecter «l’intégrité territoriale» de la Syrie (pas de place pour un partage du pays), ainsi que les institutions de l’Etat syrien et la protection de tous ses citoyens. Bilan: si des groupes tels que la Coalition nationale syrienne (CNS, soutenue notamment par le Qatar et par la France) sont surreprésentés à Riyad, la réunion risque fort de passer à côté de la réalité du terrain. Un nouveau coup d’épée dans l’eau.

Si elle démarre d’un pied boiteux, cette réunion a toutefois un objectif clair: commencer à Genève, à partir du 1er janvier prochain, des discussions «inter-syriennes» sous l’égide de l’ONU, menées par l’équipe du médiateur Staffan de Mistura. Une autre donnée doit toutefois intervenir d’ici là, et cette fois c’est la Jordanie qui a été chargée du boulet: définir les groupes qui, d’un commun accord, sont considérés comme des «terroristes», et qui seront condamnés à rester de l’autre côté du miroir. Jordaniens et Saoudiens pourraient fort ne pas être d’accord sur les critères qui président à leur liste respective. Des groupes très importants, au premier rang desquels un certain Ahrar el-Sham (lourdement soutenu par la Turquie et des Etats du Golfe) qui compte près de 15 000 combattants, sont aujourd’hui placés dans une «zone grise», figurant tour à tour dans le décompte fait par David Cameron et dans les rangs des djihadistes dont il s’agit de se débarrasser. En marge des bombardements de la coalition, cette «seconde guerre» militaro-diplomatique ne fait en réalité que commencer.