La tache indélébile afghane dans le bilan de Joe Biden
Analyse
AbonnéEn accélérant le retrait américain, le président démocrate a contribué à plonger le pays dans le chaos. Pris de court par la rapidité de la victoire talibane, il peine à communiquer correctement

La débandade américaine face aux talibans après vingt ans de présence en Afghanistan laissera des traces marquées au fer rouge. Les images d’Afghans à l’aéroport de Kaboul, agrippés à un avion militaire américain et de centaines d’autres courant à côté de l’engin qui s’apprête à décoller, pèseront encore longtemps sur la présidence de Joe Biden.
En accélérant le retrait militaire d’Afghanistan, le président américain était prêt à assumer un regain de violences, estimant que le sort du pays devait désormais «être endossé par les Afghans». Or les victoires des talibans, qui se sont enchaînées à une vitesse folle, ont pris les Américains de court, jusqu’à cette humiliation suprême: le renvoi de 5000 soldats américains à Kaboul pour évacuer en toute urgence le personnel diplomatique. Et des scènes de panique et de confusion qui ne peuvent que rappeler la chute de Saigon de 1975. Les dernières images du «retrait américain» sont désastreuses. Biden peinera à les faire oublier.
Lire aussi: Chaos afghan: «Le directeur de la CIA devrait démissionner»
Des failles exploitées
Pourquoi le renseignement américain n’a-t-il pas su anticiper la fulgurante avancée des talibans ni estimer l’état de leurs forces? Comment les négociateurs américains ont-ils été trompés par les talibans lors des négociations à Doha? Si l’échec est militaire, il met également en lumière une colossale défaillance du renseignement américain. Que l’on soit en faveur ou non du maintien d’une présence militaire, force est de constater que, précipité et mal géré, le retrait américain est un fiasco. Dimanche, alors que les talibans prenaient possession du palais présidentiel à Kaboul, Joe Biden a de surcroît préféré se terrer dans le silence à Camp David. Son prédécesseur Donald Trump a exigé sa démission. Quant au secrétaire d’Etat Antony Blinken, il s’escrimait, sur CNN, à nier toute comparaison avec Saigon.
«Nous sommes allés en Afghanistan il y a vingt ans avec une mission et cette mission était de régler le compte de ceux qui nous ont attaqués le 11 septembre. Nous avons accompli cette mission», a-t-il insisté. Avant d’ajouter: «Il n’y a rien que nos concurrents stratégiques aimeraient davantage que de nous voir embourbés en Afghanistan pour cinq, dix ou vingt ans de plus.» Certes. Mais, aujourd’hui, la Chine, l’Iran et la Russie exploitent déjà les failles américaines. La chancelière allemande Angela Merkel a, de son côté, dénoncé lundi une décision américaine «de politique intérieure». Qui, par effet domino, entraîne l’OTAN dans sa débâcle. «Un échec de la communauté internationale, qui n’a pas compris qu’on ne règle pas les choses du jour au lendemain», commente le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace.
Lire également: La situation en Afghanistan provoque désarroi en Inde et attentisme en Chine
Mais l’administration Biden campe sur sa position. Lundi matin, c’est le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan qui a répété le mantra sur ABC: «A la question de savoir si les Américains doivent se retrouver au milieu d’une guerre civile d’un pays dont l’armée ne veut pas se battre pour défendre ses citoyens, la réponse est non.»
Le problème est ailleurs. Passons sur le fait que les Etats-Unis ont dépensé plus de 2000 milliards de dollars pour soutenir une armée afghane aujourd’hui en piteux état. Joe Biden assurait surtout que le renseignement permettrait aux Etats-Unis, après le retrait militaire, de continuer à surveiller la situation et éviter que le pays ne tombe en mains terroristes. La situation actuelle permet d’en douter. Surtout, le 8 juillet, le président affirmait encore: «L’hypothèse que les talibans s’emparent de toutes les provinces et gouvernent tout le pays est hautement improbable.» Une erreur de jugement qui va lui coûter cher.
Crédibilité entachée
Contre les «guerres qui ne se terminent pas», le démocrate espérait pouvoir se vanter d’un retour de tous les «boys» d’Afghanistan avant les 20 ans des attentats du 11 septembre. Il doit aujourd’hui faire face à un des moments les plus compliqués de sa carrière. Des élus, à l’image de la républicaine Liz Cheney, craignent que la débâcle américaine ne pèse sur la crédibilité des Etats-Unis dans d’autres points chauds du globe. «C’est inexcusable, catastrophique. Et porteur de conséquences pas seulement pour l’Afghanistan et pour la guerre contre le terrorisme, mais de façon globale pour le rôle de l’Amérique dans le monde», a-t-elle tonné dimanche.
Au silence dominical de Biden – il ne devait s’exprimer que lundi après-midi heure de Washington –, s’ajoute celui imposé aux fonctionnaires de la Maison-Blanche. Molly Montgomery, secrétaire adjointe aux affaires européennes et eurasiennes du Département d’Etat, qui s’inquiétait par tweet du sort des femmes afghanes, a dû effacer son message. «Je me suis réveillée le cœur lourd, en pensant à toutes les femmes et les filles afghanes avec lesquelles j’ai travaillé pendant mon séjour à Kaboul, écrivait-elle ce week-end. Elles ont pu bénéficier de beaucoup de nos gains, et maintenant elles risquent de tout perdre. Nous leur avons donné le pouvoir de diriger, et maintenant nous sommes impuissants à les protéger.» Contrôlées par les talibans, les Afghanes seront bien les principales victimes de la mauvaise stratégie américaine.
Les tweets s’effacent et la Maison-Blanche tente de sauver la face. Mais rien ne pourra faire oublier la responsabilité américaine dans le bourbier afghan. Pas pour avoir décidé de quitter le pays, un mouvement d’ailleurs amorcé par Donald Trump. Mais pour avoir mal exécuté le retrait militaire et surestimé l’armée afghane. Des milliers d’Afghans qui ont aidé les forces américaines attendent aujourd’hui un geste rapide. Pour leur survie.