Mohsen Rezaï, candidat conservateur défait lors de l’élection présidentielle iranienne du 12 juin, a mis en garde. Si les factions réformistes continuent de se battre contre le camp du président Mahmoud Ahmadinejad, cela pourrait mener à «l’effondrement» de la République islamique. Professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement, Mohammad-Reza Djalili revient sur la «Révolution verte» de juin et sur deux autres révolutions iraniennes pour montrer le rôle qu’a joué la technologie dans chacune d’elle.

Le Temps: Le monde entier a été frappé par l’importance de la technologie dans la «révolution verte» de juin.

Mohammad-Reza Djalili: La technologie a joué un rôle très important lors des trois révolutions iraniennes de 1906, de 1979 et de 2009. Elle a contribué à transformer le pays par une irruption de la modernité dans les revendications des manifestants.

– De quelle manière?

– Prenons la Révolution de 1906, qui a abouti à l’instauration de la monarchie constitutionnelle sur le modèle de la Constitution belge de 1830. A l’époque, le télégramme a eu une influence considérable. Les bureaux de télégraphe dans chaque ville de province se transformèrent en lieux de manifestation. De là, les Iraniens envoyaient leurs doléances au gouvernement central, puis, dans l’attente d’une réponse, organisaient des sit-in dans ces mêmes bureaux. Cette révolution a été favorisée par une technologie qui a l’époque était moderne. Les lignes de télégraphes furent installées en Perse dès 1860 à partir de l’Europe et du Royaume-Uni en particulier qui souhaitait favoriser la communication avec l’Inde.

– En quoi la Révolution khomeinyste de 1979 a-t-elle aussi bénéficié des technologies modernes?

– Durant la crise de 1978-1979 qui a mené au renversement de la monarchie Pahlavi, l’ayatollah Khomeiny, en exil dans la région parisienne, a beaucoup recouru à la cassette (magnétique) pour diffuser ses discours. Les cassettes étaient soit transportées par voyageurs en Iran, soit diffusées par téléphone et réenregistrées sur place. Elles ont été reproduites à de très nombreux exemplaires et ont été largement distribuées par le biais du réseau clérical et les mosquées.

– Quelle était la teneur des discours de Khomeiny?

– C’étaient des critiques très virulentes de la monarchie. Les discours contenaient déjà des aspects anti-américains et anti-occidentaux. Ils ne faisaient toutefois pas référence à une République islamique en tant que telle, mais à un gouvernement islamique. Ils avaient une tonalité religieuse et politique, car comme le soulignait Khomeiny, l’islam sans politique n’est pas l’islam. Ce mode de communication a permis de mobiliser les foules, de faire passer des slogans que les manifestants ont utilisés et d’organiser le renversement du shah.

– En juin 2009, c’est la «Révolution verte» qui s’est déclenchée autour du candidat Mir Hossein Moussavi. Là encore, l’usage de la technologie a été fondamental.

– Internet, Facebook, Twitter ont fortement marqué le processus préélectoral. Chacun des quatre candidats avait son journal en ligne. De plus, c’est la première fois qu’il y a eu des débats télévisés où les candidats s’affrontaient directement. Des télévisions en langue persane comme BBC en farsi et Voice of America in Persian ont amplifié la portée des débats en les commentant. Après les élections (ndlr: dont les résultats sont contestés par l’opposition), les nouvelles technologies ont eu un impact d’autant plus énorme que la presse internationale n’était plus autorisée à couvrir les manifestations. On a vu des citoyens journalistes envoyer des SMS et des images prises par téléphone portable dans le monde entier. Ces moyens technologiques sont devenus un facteur de discorde entre le pouvoir et l’opposition. Constat intéressant: la multiplicité des discours de la société civile a donné une dimension démocratique au mouvement qu’on n’avait jamais vue en Iran.

– Comment évaluez-vous les effets produits par BBC en farsi?

– La création de cette chaîne persanophone en janvier 2009 a été l’un des événements majeurs sur la scène médiatique iranienne. BBC en farsi (diffusée par satellite depuis l’étranger) a eu très vite un impact énorme sur le monde iranien, en Afghanistan, au Tadjikistan, dans les communautés diasporiques et bien entendu en Iran. Pendant la crise de juin, elle a touché entre 8 et 10 millions de personnes par jour. Il est toutefois faux de dire que la contestation de l’élection est un complot ourdi par la BBC. La chaîne a simplement fait son métier d’informer, profitant de la défection des chaînes nationales iraniennes qui ne font que refléter la langue de bois du régime.