C’est un retournement spectaculaire. Vendredi, la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est revenue au Rwanda, et plus précisément à sa ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. En réalité, voilà un moment que les dés étaient jetés: en mai dernier, la France d’Emmanuel Macron avait apporté son soutien à cette candidature africaine. Or, l’influence de Paris au sein de la francophonie reste déterminante. «A partir de ce moment, les carottes étaient cuites», expliquait un ancien ambassadeur canadien en prédisant, avec raison, la défaite annoncée de la secrétaire générale sortante, la Canadienne Michaëlle Jean.

Une sorte d’alliance rwando-française pour faire la différence? Il y a peu encore, la perspective aurait semblé totalement impossible. La France n’a pas d’ambassadeur à Kigali, la capitale rwandaise. Et pour cause: pendant des années, le président Paul Kagame a maintenu une pression énorme sur Paris, l’accusant d’être «complice» du génocide des Tutsis, organisé par un pouvoir hutu auquel la France était alors alliée.

Un passé tendu entre la France et le Rwanda

Comme l’ont démontré depuis lors divers documents et témoignages, c’est la défense du «rôle de la France» en Afrique qui explique en partie le fait que les dirigeants français de l’époque aient fermé les yeux devant la préparation du génocide, eux qui considéraient ce même Paul Kagame, en lutte contre le régime hutu, comme un pion de la progression des «Anglo-Saxons» sur le continent.

Au pouvoir depuis 1994, Paul Kagame ne parle pas le français. En 2009, au plus fort de la crise entre les deux pays, il faisait adhérer le Rwanda au Commonwealth, un club pourtant réservé aux anciennes colonies britanniques. Il menaçait à l’époque de quitter l’OIF. Depuis lors, dans les écoles rwandaises, l’enseignement obligatoire de l’anglais a remplacé le français.

Bien plus: Louise Mushikiwabo – qui est pratiquement l’une des seules personnalités francophones dans l’entourage immédiat du président – s’était elle-même employée à sonner la charge contre la France. «Au Rwanda, le français ne va nulle part», déclarait-elle il y a quelques années. En 2014, la ministre avait aussi joué un rôle central en ne s’opposant pas à la démolition, à la pelleteuse, du centre culturel français de Kigali, officiellement pour des raisons de non-respect d’un plan d’urbanisme.

«Divine surprise»

Même parmi les sympathisants du président Kagame, on sourit face à ce retournement qui a culminé avec la nomination par consensus de la Rwandaise, lors du sommet de l’OIF à Erevan. «Le soutien français est venu comme une divine surprise. C’est un deal gagnant-gagnant, même si personne n’est dupe», explique un interlocuteur, sans reculer toutefois d’un iota devant ce qu’il considère comme «la responsabilité accablante» de la France dans le génocide de 1994.

Mais ce n’est pas seulement le rapport du maître du Rwanda à la langue et à la culture françaises qui est en question. Alors que l’OIF s’est donné aussi pour mandat de renforcer la démocratie et le respect des droits de l’homme, le Pays des mille collines est rarement cité en exemple dans ce domaine. Officiellement président depuis l’an 2000, Paul Kagame a été réélu l’année dernière avec un score sans appel de… 98,79% des voix. Une modification de la Constitution lui permet en théorie de conserver son poste jusqu’en 2034.

Les menaces de Paul Kagame

Alors que les opposants et les voix critiques sont systématiquement traqués et emprisonnés, voire physiquement «éliminés», cette élection «est un très mauvais message adressé à l’Afrique», écrit le politologue canadien Isidore Kwandja Ngembo, qui soutenait la reconduction de Michaëlle Jean. Il y a peu, sans autre forme de procès, Paul Kagame a fait libérer quelque 2000 prisonniers, parmi lesquels des figures reconnues de l’opposition. Un geste qui visait sans doute à finir d’amadouer la France et certains pays africains. Quelques jours plus tard, le président mettait les points sur les «i» en menaçant clairement les «stars de la politique-spectacle» qu’il venait de gracier: «Si vous continuez sur ce ton, vous allez vous retrouver de nouveau en prison.»

Au-delà de l’apaisement – tout relatif – entre Paris et Kigali, la surprise est venue de la décision du Canada et du Québec de ne pas soutenir leur candidate sortante. La faute aux dépenses «extravagantes» dont Michaëlle Jean s’est rendue coupable durant son mandat de quatre ans? Dans son dernier discours, la Canadienne s’en prenait vertement aux «petits arrangements entre Etats» qui lui auraient coûté son poste. Une flèche contre la France et le Rwanda? On murmure que le calcul du Canada vise à obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU en 2020. Or Ottawa aura besoin, pour ce faire, du soutien de l’Afrique et… de la France.