Theresa May choisit une rupture complète avec l’Union européenne
Royaume-Uni
La première ministre britannique a enfin présenté ses objectifs de négociation lors d’un discours à Londres. Elle ne veut pas que son pays continue à faire partie du marché unique. S’ouvrent maintenant deux ans de négociations tendues avec les autres pays membres

Theresa May a enfin abattu sa première carte. Presque sept mois après le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE), la première ministre britannique a présenté mardi l’ouverture de son jeu. Elle garde la plupart de ses cartes dissimulées et ne détaille pas sa tactique, mais ses adversaires connaissent désormais ses objectifs.
Dans un discours très attendu à Londres, elle a présenté une vision du Royaume-Uni rompant totalement avec l’Union européenne et tourné vers le reste du monde. Pas question de rester dans le marché unique, option qu’elle exclut explicitement. Peu probable de rester dans l’Union douanière, même si Theresa May est un peu moins claire sur ce sujet. Les décisions de la Cour de justice européenne ne s’appliqueront plus au Royaume-Uni. Quant à l’immigration, Londres exige le contrôle de ses frontières et rejette fermement la libre circulation des personnes. «[Nous ne voulons pas] être membre partiel de l’Union européenne, membre associé ou quoi que ce soit qui nous laisse à moitié dedans, à moitié dehors.»
A la place, la cheffe du gouvernement britannique esquisse une «Grande-Bretagne internationale» (Global Britain), qui ne soit pas recroquevillée sur elle-même mais puisse au contraire signer ses propres accords de libre-échange avec le reste du monde, sans pour autant se détourner de l’UE. «Nous voulons un partenariat nouveau […] entre une Grande-Bretagne internationale, indépendante, qui dirige ses propres affaires et nos amis et alliés dans l’UE.»
Entre les lignes, Theresa May envisage une relation relativement similaire à celle que la Suisse entretient avec l’UE, avec des accords économiques ad hoc secteur par secteur. Mais elle veut aller nettement plus loin en ce qui concerne l’immigration. «Le Brexit veut dire contrôler le nombre de personnes qui viennent d’Europe vers la Grande-Bretagne», assène-t-elle.
Difficultés légales
Il ne s’agit pourtant que d’une position de départ. Theresa May fait maintenant face à une montagne de difficultés légales, techniques et politiques. Elle doit d’abord négocier avec les «Vingt-Six», qui sont loin d’avoir reçu les exigences britanniques à bras ouverts. Elle a prévu de déclencher la procédure de divorce d’ici à la fin mars, prélude à deux ans de discussions.
«Triste processus, des temps surréalistes, mais au moins une annonce plus réaliste», a soupiré sur Twitter Donald Tusk, le président du Conseil européen, qui rappelle que les membres de l’UE sont «unis et prêts à négocier». Michel Barnier, le M. Brexit de la Commission européenne, s’est contenté d’un message sec, souhaitant un «départ ordonné».
Mais Theresa May doit aussi faire face à la colère d’une partie des 48% des électeurs qui n’ont pas voté pour sortir de l’UE. «Les Britanniques n’ont pas choisi un Brexit dur, s’est agacé Tim Farron, le leader des libéraux-démocrates. C’est un non-respect de la démocratie.»
La première ministre doit aussi convaincre les gouvernements d’Ecosse et d’Irlande du Nord, deux nations qui ont voté contre le Brexit. Nicola Sturgeon, la première ministre d’Ecosse, a laissé entendre que le discours de Theresa May augmentait la possibilité d’un deuxième référendum sur l’indépendance. «Le gouvernement tory ne peut pas être autorisé à agir ainsi contre les vœux et les intérêts de l’Ecosse», s’est-elle agacée.
Inquiétude du patronat
Il y a enfin le patronat et les entreprises, qui sont très inquiets de la situation actuelle. Ceux-ci avaient fait campagne pour rester dans l’UE, puis avaient demandé de ne pas quitter le marché unique. A chaque fois, ils ont perdu.
Theresa May elle-même a profondément évolué sur le Brexit. Après tout, elle avait fait campagne – du bout des lèvres toutefois – pour rester dans l’UE. La raison de sa conversion? Son propre Parti conservateur, où les «brexiters» sont devenus largement dominants, selon Simon Usherwood, politologue à l’université du Surrey. «Elle est concentrée sur la gestion d’une petite audience, à savoir son parti et ceux qui la soutiennent dans les journaux. Son discours ferme va pourtant rendre plus difficile un accord avec [les autres pays membres de] l’Union européenne.»
Marché unique: «Nous ne voulons pas être membre du marché unique.» Cette petite phrase est l’une des plus importantes que Theresa May aura prononcée de toute sa carrière. La première ministre britannique exclut ainsi le modèle de la Norvège, qui est dans le marché unique sans être dans l’UE. Cela signifie renoncer totalement à cette zone de libre-échange, mais en contrepartie ne plus contribuer au budget de l’UE. Theresa May espère cependant signer un nouvel accord de libre-échange avec l’UE, sur des bases nouvelles.
Union douanière: La première ministre laisse entendre qu’elle va probablement sortir de l’Union douanière, mais elle se laisse une marge de manœuvre. Cette zone permet deux choses: elle fixe les mêmes droits de douane à l’ensemble du reste du monde; une fois à l’intérieur, les marchandises n’ont en revanche plus aucune barrière douanière. Londres souhaite se débarrasser du premier élément tout en conservant le second. Garder les droits de douane communs avec le reste de l’UE l’empêcherait en effet de passer ses propres accords de libre-échange, notamment avec les Etats-Unis. C’est exclu: «Je veux que la Grande-Bretagne puisse négocier ses propres accords commerciaux», insiste Theresa May. Néanmoins, elle espère trouver une solution intermédiaire, qui permette de commercer sans droits de douane avec l’UE. Elle évoque la possibilité d’être «membre associé de l’Union douanière» ou de rester «signataire de certains éléments». «Je suis ouverte sur la façon d’y arriver. C’est le résultat qui compte.»
Transition: Theresa May a promis d’ouvrir les négociations officielles avec l’UE d’ici à fin mars. La période prévue par les institutions européennes est ensuite de deux ans, ce qui mènerait à un Brexit effectif en mars 2019. La première ministre souhaite que toutes les négociations soient alors terminées. Mais elle reconnaît que le délai est court, comparé à la plupart des grands accords internationaux. Elle suggère donc de prévoir une période de transition pour son application, sans préciser sa durée. «Pas une forme de statut transitoire illimité, dans lequel nous serions bloqués pour toujours dans une sorte de purgatoire politique permanent […] mais un processus d’application par phases […]. Cela donnera assez de temps aux entreprises pour se préparer aux nouveaux arrangements.»