L’Association internationale du transport aérien (IATA, en anglais) est le principal organisme commercial du secteur aéronautique. L’entité privée, à ne pas confondre avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), une organisation, dépendante des Nations unies et chargée d’établir des normes internationales pour le transport aérien, maintient historiquement une forte présence à Genève. Ses bureaux exécutifs abritent près du tiers de ses effectifs mondiaux, soit 400 employés, dédiés notamment à la sécurité des passagers. Entretien avec son directeur général, Tony Tyler, dans son bureau perché au dernier étage d’un bâtiment de Cointrin.
Le Temps: A quoi sert l’IATA?
Tony Tyler: La liste est longue. D’aucuns pensent que nous sommes chargés uniquement de simplifier les facturations entre les compagnies et les agences de voyages. En réalité, nous édictons, unifions et coordonnons aussi les règlements internationaux du transport aérien (modalités de transport des animaux vivants, qualité du carburant, etc.). Outre ces questions économiques, financières et de politique générale, l’IATA gère les relations extérieures – avec les gouvernements, les aéroports, les acteurs de la Genève internationale, etc. – de l’aviation commerciale. En résumé, notre mission est d’aider les compagnies à déployer leurs activités à l’échelon mondial. Toutefois, nous ne sommes pas un organe de régulation, mais une association commerciale. Mais comme nos 240 membres assurent 84% des vols commerciaux réguliers, nos normes sont la clé de voûte de la connectivité aérienne mondiale.
– Intervenez-vous en matière de sécurité des passagers?
– Absolument, c’est même un domaine qui est au cœur de nos activités. L’IATA est garante des bonnes pratiques et gardienne de la norme mondiale pour la vérification de la sécurité opérationnelle des compagnies. Chacun de nos membres doit se conformer à notre audit en la matière. Par ailleurs, nous sommes en train d’établir la plus grande base de données au monde sur la sécurité aérienne. Dans le but d’éviter des accidents en nous fondant sur des analyses prédictives.
– Justement, le transport aérien a connu un été meurtrier en 2014. Trois crashs de gros avions de ligne se sont produits en une semaine, du jamais vu. Autre record: plus de 730 personnes ont péri en prenant l’avion l’an passé. Avez-vous remis en question votre stratégie en matière de fiabilité des vols?
– Chaque jour, 100 000 avions arrivent à destination sans incident. Le système mondial de sécurité aérienne a jusqu’ici, et depuis plusieurs décennies, bien fonctionné. Mais force est de constater qu’il comporte aujourd’hui certaines lacunes devant être comblées. Je fais surtout référence ici à la tragédie, en juillet dernier, du Boeing malaisien au-dessus Ukraine (vol MH17). Si l’IATA ne fait pas partie du système des Nations unies, elle en est un partenaire officiel. Ainsi, nous incitons activement l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), dont le siège est, comme le nôtre, à Montréal, à légiférer notamment sur la conception et le déploiement d’arsenaux armés capables d’abattre des avions civils. A l’instar de ce qui existe déjà en droit international pour réguler les armes chimiques ou les mines antipersonnel.
– La deuxième conférence de haut niveau sur la sécurité aérienne débute ce lundi à Montréal. Que peut-on en attendre?
– L’OACI aimerait instaurer un meilleur suivi des avions en plein vol, à travers un signal embarqué émis chaque minute. Elle entend aussi recommander aux constructeurs d’équiper, dès 2021, leurs avions de boîtes noires éjectables, capables de flotter si un appareil s’abîme en pleine mer. Pour la sécurité en zone de conflits, il est prévu un système de gestion et d’informations plus précises – mises à jour continuellement –, pour les survols d’espaces aériens à risque.
– Tout a déjà beaucoup changé depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Pensez-vous qu’il faille encore renforcer les règles de sécurité dans les aéroports et les avions?
– Après plusieurs autres tentatives terroristes, les mesures strictes prises à la suite de l’attaque du World Trade Center en 2001 ont été régulièrement accentuées. Le système, bien qu’extrêmement coûteux [ndlr: environ 8 milliards de dollars par an, rien que pour les compagnies aériennes et uniquement en ce qui concerne le tri des passagers], a fait ses preuves. Mais il devrait bientôt trouver ses limites. Vu les perspectives de croissance du trafic aérien, le dispositif actuel n’est techniquement pas tenable. Raison pour laquelle l’IATA milite pour une approche plus intelligente des flux d’usagers attendus. A travers des technologies plus pertinentes et rapides, comme des appareils renifleurs ou à rayons X de nouvelle génération. Mais aussi à l’aide d’une évaluation des risques plus judicieuse, comme des programmes de «voyageurs dignes de confiance», à l’instar de ce qui se pratique déjà aux Etats-Unis.
– C’est-à-dire?
– Par exemple, un passager fréquent pourrait s’inscrire afin de ne passer qu’une seule fois pour toutes la batterie d’examens personnels requis. S’il répond aux critères, il pourrait ensuite rejoindre la liste des passagers précontrôlés, ce qui lui conférerait un droit de passage allégé, c’est-à-dire sans la contrainte d’ôter par exemple ses chaussures ou de sortir son ordinateur portable aux portails de sécurité. L’avantage d’un tel système est qu’il éviterait des files d’attente interminables. Sans empêcher de procéder, de manière arbitraire et aléatoire, à un contrôle plus approfondi. C’est à mon avis l’une des clés d’avenir en matière de sécurité aérienne.
«Vu la croissance attendue du trafic aérien, le dispositif antiterrorisme actuel n’est pas tenable»