Toujours bloqués à Rangoon, les humanitaires occidentaux désespèrent
BIRMANIE
Seul le personnel birman des ONG est autorisé à se rendre dans les zones les plus touchées par le cyclone.
Deux semaines après le passage du typhon Nargis, en Birmanie, les nuits de Rangoon sont encore presque toujours noires, faute d'électricité. Les jours, eux, sont gris, sombres, embués par les pluies de mousson torrentielles qui s'abattent tous les après-midi. Des journées qui paraissent définitivement longues, trop longues, à tous les humanitaires expatriés «coincés» dans l'ancienne capitale depuis que la junte militaire, une semaine après la catastrophe, a interdit à tous les Occidentaux de sortir de la ville pour rejoindre les zones les plus sinistrées.
Autour de Rangoon, 70% des arbres ont été arrachés par le typhon. Les branchages et les troncs envahissent les trottoirs. L'eau est rationnée. Les lignes téléphoniques sont défaillantes. Le prix de l'essence a explosé. Mais ce n'est rien comparé aux dizaines de milliers de morts des villages du delta de l'Irrawaddy, qui couvre le sud du pays. Selon l'ONU, le typhon a fait au moins 133000 morts et disparus et plus de 2millions de sinistrés dont la majorité n'a pas reçu d'aide. Les humanitaires désespèrent.
Bloquées à Rangoon, les ONG n'en sont pas moins autorisées à poursuivre leurs activités, mais selon les strictes modalités imposées par la junte. Au total, elles sont une vingtaine à être autorisées à travailler. Parmi elles, la Croix-Rouge, Médecins sans frontières, World Vision, les agences des Nations unies. La plupart étaient actives dans le pays avant le typhon. Les organisations arrivées depuis n'ont toujours pas obtenu d'autorisation. «Le moins que l'on puisse dire, c'est que pour une fois on ne se marche pas sur les pieds», commente Judi Niebuhr, chef de mission adjointe à MSF-Pays-Bas.
Jeudi 15 mai, dans une discrète villa du centre-ville qui leur sert de QG, des volontaires d'Action contre la faim (ACF) s'affairent tout de même. Peu après le passage du typhon, ACF était l'une des rares organisations présentes à Bogalay, l'une des principales villes touchées dans le delta. «Mais rapidement, les militaires nous ont fait comprendre que l'on n'était pas les bienvenus», raconte un responsable de l'association. Ils ont dû partir.
Aujourd'hui, à côté des ventilateurs qui s'échinent en vain à adoucir les 40 degrés de moiteur étouffante, les humanitaires tentent de gérer une crise qu'ils sont contraints d'imaginer. «On se doute des besoins, on les estime mais on n'a aucune idée précise», poursuit le responsable d'ACF. Comme d'autres, l'ONG a déjà réussi à acheminer des dizaines de tonnes de nourriture et de matériel: tentes, kits de purification d'eau, riz, haricots... «Mais aujourd'hui, une fois que les camions sont partis, on a beaucoup de mal à savoir exactement comment tout est distribué», lâche le responsable humanitaire.
Les seuls relais d'information des ONG sont leurs personnels birmans. Les seuls que la Tatmadaw (l'armée) autorise à accéder aux régions les plus atteintes par le typhon. CV en main, tous les matins, des files de volontaires patientent devant les principales organisations à Rangoon: des étudiants mais aussi des médecins, des infirmières, des sages-femmes. La plupart des ONG recrutent et salarient, méthode jugée plus fiable que d'engager des bénévoles. ACF, pour sa part, prévoit 100 à 200 embauches.
«Il n'y a nul doute sur la compétence de ces Birmans, mais ils ne peuvent pas avoir l'expérience des crises comme l'ont certains experts humanitaires», assure Heinke Veit, porte-parole de l'antenne de la Commission européenne à Rangoon.
Installées dans des maisonnettes ou des chambres d'hôtel réquisitionnées, avec des liaisons Internet imprévisibles et des connexions téléphoniques hésitantes, les ONG s'inquiètent aussi du vrai «trou noir» que constitue le rôle de l'armée birmane. Cette dernière entend décharger et distribuer elle-même des dizaines de tonnes de matériel ou de nourriture acheminés jusqu'en Birmanie par l'aide internationale. La presse et la télévision birmanes relaient ensuite largement l'action de la junte. Mais nul ne sait ce qu'il advient réellement de cette aide.
Après deux jours de visite dans Rangoon, qui reprend vie peu à peu, le commissaire européen à l'Aide humanitaire, Louis Michel, se félicitait, vendredi 16 mai, d'avoir obtenu de la junte qu'elle examine désormais «au cas par cas» les autorisations de circuler des expatriés humanitaires, au lieu de les refuser en bloc.