Le travail de l’ombre des spécialistes de Spiez
syrie
Les analyses des experts suisses et européens bientôt révélées dans un rapport de l’ONU
Depuis le début du mois de septembre, une poignée de scientifiques travaillent dans la plus grande discrétion, au cœur de quatre laboratoires en Europe, pour tenter de déterminer si oui ou non des armes chimiques ont été utilisées lors de l’attaque du 21 août, dans la banlieue de Damas. Parmi eux, les experts suisses du laboratoire de Spiez (canton de Berne) rattaché au Département fédéral de la défense (DDPS). Lesquels se refusent à tout commentaire. Mais leur implication est un secret de polichinelle.
L’enjeu est de taille, car les conclusions des experts serviront de base à un rapport de l’ONU à paraître dans les prochains jours. Le texte ne dira pas qui, des rebelles ou du régime, a envoyé les bombes responsables de la mort de 1400 personnes. Mais ses conclusions doivent permettre de mieux comprendre le déroulement de l’attaque la plus meurtrière depuis Halabja en 1988. Quel produit a été utilisé? Avec quel type de munition? Peut-être alors, même si ce n’est pas le but du mandat onusien, se dégageront des hypothèses qui pourraient corroborer l’incrimination du régime de Damas. C’est ce qu’appelle de ses vœux Hamish de Bretton-Gordon, ancien expert en armes auprès du gouvernement britannique: «Si le rapport confirmait que des bombes de 200 à 500 litres de sarin ont été employées, comme on le suppose, il s’agirait d’une indication clé: seul le régime est capable d’avoir recours à de telles proportions de gaz.»
Le 26 août, des spécialistes de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et des médecins de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) commencent à recueillir, dans la Ghouta, à Damas, de la terre et des restes d’obus, mais aussi des échantillons de vêtements, de cheveux, d’urine et de sang prélevés sur des victimes.
Rencontre clé
Ce jour-là, le conseiller fédéral Didier Burkhalter rencontrait justement à La Haye le directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), Ahmet Üzümcü. Le chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a alors jugé bon de réitérer son offre de mettre à disposition les experts bernois. Le 2 septembre, le matériel collecté en Syrie, placé sous scellés, était distribué vers quatre laboratoires, dont celui de Spiez. Pour compter parmi les élus, les scientifiques devaient être reconnus par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et se trouver en territoire «neutre», soit hors des pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Le laboratoire suisse répond à ces critères: il compte parmi les 21 structures désignées par l’OIAC et peut se targuer d’une solide expérience en matière d’expertise sur les armes chimiques. Nantis de leur réputation de rigueur et de neutralité, les Suisses avaient déjà été sollicités après les attaques à l’arme chimique pendant la guerre Iran-Irak, dès 1984. Puis ils se trouveront en Irak, dans les Balkans, en Afghanistan ou en Sibérie.
Les spécialistes de Spiez se rendraient-ils sur le terrain, si une opération de neutralisation des armes chimiques, encore totalement hypothétique, se concrétisait en Syrie? Ils en ont les compétences. «Une telle opération nécessiterait quantité d’experts sur place pendant des années, souligne Dieter Rothbacher, ex-inspecteur de l’ONU en Irak et cofondateur de la société de conseil Hotzone Solutions. Mais avant que ce soit possible, la guerre civile doit cesser.»