FRANCE
Le choc du premier tour de l'élection présidentielle oblige à imaginer ce qui se passerait si le leader du Front national était élu le 5 mai prochain, et s'il disposait d'une majorité à l'Assemblée nationale. Depuis dimanche dernier, il place la dénonciation des traités européens en tête de ses priorités, car c'est la condition préalable à la mise en œuvre du protectionnisme économique et de la préférence nationale.
Imaginons l'impossible. Puisqu'il s'est déjà réalisé, au premier tour de l'élection présidentielle, pourquoi ne se réaliserait-il pas une deuxième fois, le dimanche 5 mai, et une troisième fois lors des élections législatives? Bruno Gollnisch, héritier politique présomptif de Jean-Marie Le Pen, ne s'est pas privé de le faire, il y a deux mois, lors d'un meeting à Lyon.
Jean-Marie Le Pen est élu président de la République, et, six semaines plus tard, il obtient une majorité à l'Assemblée nationale lors des élections législatives. Le 18 juin, après la diffusion des résultats, il prononce un discours solennel sur toutes les chaînes de télévision, et il commence ainsi: «Vous m'avez élu sur un programme, et dès demain, nous allons le mettre en œuvre avec le premier ministre que j'ai choisi.» Depuis qu'il est qualifié pour le second tour de l'élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen a plusieurs fois clairement indiqué quelles seraient ses priorités. Il est donc possible de faire une liste des mesures qui changeraient le visage de la France en quelques mois.
Jean-Marie Le Pen ne se contente pas d'en appeler subliminalement à la tradition évangélique comme il l'a fait dimanche dernier («n'ayez pas peur», «allez dans l'espérance»), il invoque de plus en plus souvent les mânes d'un de ses pires ennemis de la fin des années cinquante et des années soixante. Ainsi, mardi dernier, il déclarait: «Croyez-vous, comme disait le général de Gaulle, que c'est à mon âge que je vais devenir dictateur?» Et vendredi, lors d'une conférence de presse, il l'annexait à sa conception de la Nation et à sa politique européenne, en le citant: «Un pays, c'est un Etat, une armée, une monnaie.» «Nous souhaitons, a-t-il ajouté, la renégociation des traités, estimant que la dérive de l'Europe de Maastricht vers l'euromondialisme prive notre pays d'un élément fondamental et constitutionnel, son indépendance.»
Ce retour en arrière est en effet un préalable si Jean-Marie Le Pen veut pouvoir appliquer les trois principes fondateurs de son programme: le protectionnisme économique, social (la préférence nationale) et démographique.
Première mesure antieuropéenne: un référendum pour le rétablissement du franc, avec le maintien d'une monnaie commune du type ECU qui a précédé l'euro. Deuxième mesure: un référendum pour empêcher les dévolutions de souveraineté à l'Union européenne et rétablir la supériorité des lois françaises sur les traités européens et internationaux. Troisième mesure: la dénonciation de toutes les lois et traités sur la libre circulation des extra-communautaires, et la remise en question de la politique concernant l'asile et les droits politiques, économiques et sociaux des étrangers en France. Quatrième mesure: rétablissement des frontières douanières concernant les personnes et les biens.
Ces frontières permettront à son gouvernement d'imposer des taxes sur les biens produits dans les pays qui ne soumettent pas les entreprises aux mêmes contraintes que les entreprises françaises (cinquième mesure). Jean-Marie Le Pen introduira dans la Constitution la préférence nationale par référendum. Cette préférence doit permettre de donner la priorité aux Français pour tous les emplois, une «discrimination positive» selon un responsable du Front national Jeunesse (sixième mesure). Elle aboutira aussi à la séparation du système de protection sociale destiné aux Français et aux résidents étrangers, notamment par la création d'un régime de sécurité sociale spécial qui devrait être financé en partie par les pays d'origine (septième mesure).
Le protectionnisme démographique a pour but de rétablir l'équilibre entre la population française et étrangère. Huitième mesure: expulsion des étrangers en situation irrégulière ou ayant commis des délits. Neuvième mesure: construction de camps de transit destinés à isoler les étrangers expulsables et ceux qui seraient entrés illégalement en France.
Dixième mesure: aides économiques pour favoriser le retour des étrangers dans leur pays. Onzième mesure: une politique nataliste vigoureuse, avec en particulier l'établissement d'un revenu parental égal au salaire minimum pour les Français. Mais ce protectionnisme démographique a une dimension ethnique, puisque Jean-Marie Le Pen modifiera la loi sur la nationalité, en en supprimant l'acquisition pour les étrangers nés en France, c'est-à-dire en remplaçant le droit du sol par le droit du sang (douzième mesure).
Enfin, au lendemain du deuxième tour des législatives, Jean-Marie Le Pen proposera une treizième mesure qui le distingue de tous les candidats qui se sont présentés au premier tour de l'élection présidentielle, à l'exception de Bruno Mégret: le rétablissement de la peine de mort. C'est désormais la seule originalité de son programme de lutte contre l'insécurité.
Ces projets sont connus. Ils sont inscrits dans les textes publiés par son parti. Jean-Marie Le Pen les défend avec plus de politesse, mais avec autant de précision.