Interview
Téhéran a annoncé mardi sa volonté d’augmenter sa capacité d’enrichissement d’uranium au grand dam de Bruxelles. Le président du National Iranian American Council et auteur du livre «Losing an Enemy» juge la situation très dangereuse

L’Iran a notifié mardi à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) la mise en route d’un plan pour augmenter sa capacité à enrichir l’uranium. Téhéran assure que ces mesures ne violent en aucun cas l’accord sur le nucléaire iranien connu sous le nom de Plan d’action global commun (PAGC). A Bruxelles, on estime que l’annonce ne constitue pas en soi une violation du PAGC. Mais «à ce stade particulièrement critique, ces mesures ne contribueront pas à renforcer la confiance dans la nature du programme nucléaire iranien», a déclaré la porte-parole de Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne.
Elles interviennent à un moment où les Européens tentent de sauver l’accord dont le président américain Donald Trump a choisi de se retirer. Mais aussi le jour où le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est à Paris pour convaincre le président français Emmanuel Macron de déchirer à son tour le PAGC. Auteur du livre publié en 2017 Losing an Enemy: Obama, Iran and the Triumph of Diplomacy, Trita Parsi est né en Iran et a vécu sa jeunesse en Suède. Fondateur et président du National Iranian American Council, il livre son analyse.
Le Temps: Que penser des efforts européens visant à sauver l’accord nucléaire dont les Etats-Unis se sont retirés?
Trita Parsi: Les efforts des Européens entrepris à Washington pour sauver l’accord étaient voués à l’échec. Il y avait une forme de naïveté de croire qu’ils allaient réussir à persuader Donald Trump de maintenir l’accord. L’épisode a toutefois permis à ces mêmes Européens de prendre la vraie mesure du président américain. Pour sauver l’accord, il faudra une forte volonté politique. L’Europe devra prévoir des mesures pour protéger les sociétés européennes, leur permettre de continuer de traiter avec l’Iran et d’y investir.
Ce ne sera pas facile. Certaines de ces sociétés sont très présentes sur le marché américain et craignent d’être sanctionnées par les Etats-Unis en dépit des protections européennes. Pour Bruxelles cependant, il n’est pas simplement question de l’Iran et de l’accord nucléaire. Il est question de l’indépendance et de la dignité de l’Europe. Est-ce que l’Europe souhaite appliquer ses propres lois à ses entreprises ou les lois américaines?
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L’unité européenne en la matière n’est pas garantie.
En effet, certains Etats européens ont des intérêts sécuritaires divergents, notamment dans l’est du continent. Ils ne souhaitent pas mettre en danger leur relation avec les Etats-Unis dont ils veulent conserver le soutien face à la Russie.
Après le retrait américain de l’accord, quelle est la situation du président iranien Hassan Rohani qui avait promis une embellie de l’économie grâce au PAGC?
Les temps à venir vont être très difficiles pour les modérés en Iran. Si la voie du compromis est impraticable, il ne reste plus que celle de la confrontation. A moins que les Européens, la Chine et la Russie ne parviennent à maintenir l’accord, l’Iran risque d’adopter une politique beaucoup plus agressive au Moyen-Orient.
Les critiques relèvent que l’accord n’a pas permis de modérer l’action de l’Iran dans la région.
Les Iraniens étaient prêts à discuter directement d’autres questions comme la Syrie et le Yémen pour autant que l’accord soit pleinement mis en œuvre. Malheureusement, même sous l’administration Obama, la levée des sanctions n’a pas vraiment produit les effets escomptés. Les Iraniens n’ont pas obtenu ce qu’on leur avait promis alors qu’ils ont suivi à la lettre les exigences de l’AIEA. Les banques n’étaient pas prêtes à financer quoi que ce soit, apeurées de voir les Etats-Unis se retirer de l’accord. Les faits l’ont confirmé: Washington n’a pas tenu ses engagements. Diplomatiquement, l’Occident a raté une occasion de traiter des problèmes liés à l’Iran dans la région.
Quel est l’état de l’économie iranienne?
Les problèmes économiques sont sérieux. Ils découlent de la corruption du régime iranien, de la mauvaise gouvernance, mais aussi de la levée des sanctions qui n’a pas permis un retour des investissements. Or ceux-ci sont nécessaires pour créer de l’emploi.
Vous avez été vous-même la cible d’une agence privée israélienne de renseignement Black Cube qui a cherché à discréditer l’accord nucléaire.
Black Cube a visé des anciens hauts responsables de l’administration Obama, Ben Rhodes et Colin Kahl, en répandant l’idée que ces personnes avaient un intérêt financier dans l’accord nucléaire. J’ai moi-même été visé. Cette affaire montre jusqu’où l’équipe de Trump et Israël étaient prêts à aller pour saper l’accord. Les attaques de Black Cube ont commencé peu après la visite de Trump en Israël en 2017. Une source avance que Trump serait le client de Black Cube. On ne peut pas le prouver à ce stade, mais une enquête du Congrès est nécessaire. Si le président actuel ou son équipe ont mandaté une société étrangère de renseignement pour salir des responsables du gouvernement américain afin d’infléchir sa politique, c’est une accusation extrêmement grave.
Au sein de l’administration Trump, Mike Pompeo et John Bolton sont très anti-Iran. Un vrai danger?
Il est aujourd’hui plus dangereux de sous-estimer le danger que de le surestimer. Le conseiller à la sécurité nationale John Bolton défendait voici deux mois l’idée d’une frappe nucléaire préemptive contre Pyongyang. L’une de ses tribunes publiée dans le New York Times appelait à bombarder l’Iran. Quand le secrétaire d’Etat Mike Pompeo parle de sanctions permanentes contre l’Iran, il veut un échec de la diplomatie et une confrontation militaire.
L’accord nucléaire reste-t-il un triomphe de la diplomatie comme vous l’affirmez dans votre livre?
Absolument. On était proche d’une guerre. Une diplomatie musclée de l’administration Obama a permis d’atteindre un compromis sans le moindre coup de feu. Il y a peu d’exemples de cette nature dans l’histoire récente.