Turquie. Comment Erdogan a gagné son pari
Analyse
Pour convaincre ses électeurs, le président turc n’a pas hésité à lancer son pays dans la guerre et à tourner le dos au processus de paix avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Surtout, il a divisé le pays et stigmatisé les Kurdes

Recep Tayyip Erdogan a gagné son pari: en convoquant des élections législatives anticipées, quatre mois seulement après un premier scrutin, il parvient à améliorer son score. Il avait obtenu 40,7% ce qui le contraignait à former un gouvernement de coalition, selon les résultats partiels, il obtiendrait près de 50% cette fois-ci, ce qui lui permettrait de gouverner seul et d’asseoir ses prérogatives présidentielles que ne prévoit pas la Constitution mais qu’un gouvernement monocolore issu de son parti ne lui contestera pas. Cette victoire, il ne l’a pas gagnée de manière régulière. Pour convaincre les électeurs de changer d’avis, il n’a pas hésité à lancer son pays dans la guerre, il a tourné le dos à un processus de paix avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et, surtout, il a divisé le pays et stigmatisé les Kurdes. Autant de plaies qu’il a ouvertes et qu’il sera difficile de refermer.
Comment a-t-il fait? En jouant avec les peurs qu’a provoquées l’attentat de Suruç, qui a fait 33 morts le 20 juillet dernier, il a lancé sa guerre contre les terroristes de l’État islamique (EI) et du PKK, dans les faits une guerre contre le PKK surtout. Ce faisant, il a appelé à l’union sacrée derrière lui. Un slogan qui a porté chez les patriotes de droite du Parti d’action nationaliste (MHP), très hostiles aux Kurdes. Aujourd’hui, le MHP est le grand perdant du scrutin. Les slogans nationalistes de Recep Erdogan lui ont volé ses suffrages.
Le président a aussi réussi à minimiser le vote en faveur du Parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde. En se présentant comme moderniste, réformateur et défenseur de la cause des femmes, ce dernier avait réussi la prouesse d’élargir son électorat à des non-Kurdes. Une stratégie qui a porté ses fruits le 7 juin dernier, puisqu’avec 13%, le HDP franchissait le seuil fatidique des 10% obligatoires pour entrer au parlement. En insinuant que le HDP était lié aux terroristes du PKK, en posant même une égalité entre PKK et HDP, il a ravalé ce dernier à son identité ethnique kurde, exclusivement.
Enfin, les piètres conditions sécuritaires du scrutin ont fait le reste. Impossibilité pour le HDP de faire campagne, en raison des risques d’attentats qui le visaient directement. En outre, dans certaines localités kurdes, sous le coup de restrictions de mouvement en raison des opérations militaires et de l’insurrection du PKK, les électeurs qui traditionnellement votent HDP n’ont pu se déplacer pour voter.
Et demain? Fort de son éclatante, l’AKP appelle à l’unité. Dès les premiers résultats, le premier ministre Ahmet Davutoglu a tendu la main aux perdants en leur annonçant: «Aujourd’hui, il n’y a que des gagnants.» Mais les divisions dans la société turque sont plus criantes que jamais. D’abord, entre l’est kurde et pauvre et l’ouest prospère. Entre les kémalistes, laïcs et modernistes et les conservateurs islamistes qui ont voté pour l’AKP. Entre les musulmans sunnites majoritaires et les membres des autres religions, les chrétiens et les alévis notamment. Réconcilier la nation sera une gageure, d’autant que la Turquie est sous tension en raison des crises qui secouent la région.