Il va falloir faire avec lui. Ou «compter avec lui», comme le dit si bien la Tribune de Genève. Car «à 61 ans, Recep Tayyip Erdogan, le «sultan» de la Turquie, s’est remis en selle en jouant sur la peur. C’était lui ou le chaos… C’est une mauvaise nouvelle pour les journalistes et les intellectuels turcs qui sont déjà dans le collimateur du régime. C’est une mauvaise nouvelle pour l’opposition et les Kurdes.» Mais, prévient le quotidien, «c’est surtout une très mauvaise nouvelle pour l’Europe et le reste du monde», confrontés au conflit syrien et à la crise des migrants qui en découle.

Pourquoi? Parce que «depuis le début, Ankara joue un double jeu. La manière dont Erdogan s’y est pris pour laisser le champ libre aux islamistes de Daech tout en s’associant aux frappes de la coalition relève du cynisme absolu.» Et la majorité dont le leader de l’AKP dispose maintenant – même si elle est «simple» et non «super» comme il l’espérait – lui permet de «former un parti capable de gouverner seul», écrivent les Hurriyet Daily News d’Ankara.

«Après-moi-le-déluge»

Le Financial Times avertit donc: cela «lui donne de facto des pouvoirs comme aucun de ses prédécesseurs n’en a eu dans un passé récent». C’était «un pari qui a payé», relève-t-il dans un commentaire. Dans le contexte de cette «Histoire jouée à coup de dés», on a affaire à un pari «sur la peur» – le terme revient sans cesse – précise le Guardian: «le pugnace président» a usé, tout au long de la campagne, de ces arguments efficaces que sont «la stabilité et la sécurité».

Quoique. «La campagne électorale était inexistante dans la rue», indique Le Monde. L’AKP a notamment tiré parti de sa position dominante «en multipliant les apparitions à la télévision. Rien qu’en octobre, M. Erdogan a bénéficié de 29 heures de temps d’antenne sur la chaîne TRT, et de 30 heures pour son parti», soit des dizaines de fois plus que ses adversaires politiques. Alors, le «défi hors normes» relevé avec succès mais après un passage en force, «les Turcs pourraient le payer cher»; le message que leur a envoyé leur dirigeant était clair: c’était «après-moi-le-déluge» [en français dans le texte].

Analyse: Comment Erdogan a-t-il gagné son pari? En lançant son pays dans la guerre et en tournant le dos au processus de paix avec le PKK.

Pour Courrier international, on assiste ainsi logiquement à une «éclatante victoire» qu’aucun sondage n’avait pourtant prévue, mais remportée parce que beaucoup de choses ont «changé depuis juin, quand Erdogan et son premier ministre Ahmet Davutoglu ont décidé de convoquer ces élections anticipées». Deux principalement, en fait, confirme le quotidien Zaman: «La reprise de la guerre à outrance contre le PKK et la vague d’attentats attribuée à Daech qui a endeuillé la Turquie.»

Dans ce contexte politique et militaire pour le moins tendu, et dans l’agenda caché d’Erdogan, la volonté semble claire, disent les observateurs, de se constituer en nouveau père fondateur, en Atatürk version islamo-conservatrice si l’on veut… En réalité, il ne s’agit pas d’une révolution, mais d’un virage autocratique, où le peuple a été appelé à «voter massivement» pour l’AKP. Afin de «garantir l’unité territoriale, sécuritaire, politique et économique de la Turquie».

Car «l’absence d’une opposition crédible et jouissant d’une base électorale» suffisante fait actuellement cruellement «défaut dans la patrie kémaliste». Ainsi, «la répression du gouvernement n’a pas fléchi contre les bases des combattants kurdes en Irak et en Syrie, bombardés davantage que Daech. Guerre, terrorisme, répression. Quand on se veut un homme fort, ce climat est une menace, mais aussi une aubaine», commente Ouest-France.

Recep Tayyip Erdogan l’a bien compris.