UE: les Vingt-Sept sont devenus les Vingt-Huit
revue de presse
L’«Ode à la joie» jouée dimanche à Zagreb pour l’entrée de la Croatie dans l’Union au 1er juillet est toute relative. Car il reste de nombreux problèmes à résoudre dans un pays qui passe le seuil sur la pointe des pieds

Dans une ambiance morose, des feux d’artifice ont tout de même éclairé le ciel de Zagreb cette nuit, alors que des dizaines de milliers de Croates à travers le pays acclamaient dimanche à minuit l’adhésion à l’Union européenne (UE) de leur pays. La Croatie devient ainsi le 28e membre de l’Union vingt-deux ans après la proclamation de son indépendance de l’ex-Yougoslavie. Elle est le premier Etat à rejoindre l’UE depuis l’adhésion, en 2007, de la Roumanie et de la Bulgarie.
«Bienvenue dans l’Union européenne», a lancé le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, à la foule rassemblée à Zagreb, peu avant que «L’Ode à la joie» de la Neuvième Symphonie, composée en 1823 par Ludwig van Beethoven sur un poème écrit en 1785 par Friedrich von Schiller, ne consacre cette intégration. L’hymne [écoutez-le ici] symbolise non seulement l’UE, mais aussi l’Europe au sens large. Et ses vers expriment l’idéal de fraternité que Schiller avait pour la race humaine, vision partagée par le musicien allemand.
Pas d’effusion
Mais il va falloir passer de l’humanisme au pragmatisme. Car justement, il n’y a pas d’ode à la joie pour l’adhésion croate. Car elle ne suscite d’effusion […] ni dans le pays, ni à Bruxelles, estime le quotidien polonais Dziennik Gazeta Prawna, lu et traduit par Eurotopics: «Les Croates redoutent que leur économie ne soit bradée à des acheteurs étrangers. […] Les grands médias et les principaux politiques se montrent réservés. […] Même les organisateurs officiels de la cérémonie d’adhésion sont loin de rayonner d’optimisme. […] Pendant ce temps, le chômage a atteint cette année le taux record de 21%, et pourrait bientôt avoir une ampleur que seules l’Espagne et la Grèce connaissent à ce jour.»
D’ailleurs, le chef de la délégation de l’UE en Croatie, Paul Vandoren, revient dans Le Monde sur les enjeux et les défis qui attendent le pays. A la question «est-ce qu’il comptera parmi les pays à problème de l’UE?», il répond: «C’est clair que oui! Pour moi, il n’y a pas de grande différence entre la Croatie, la Grèce, l’Italie ou le Portugal. Dans tous ces pays du Sud, le taux de chômage varie de 18% à 21% et celui des jeunes, autour de 58%. La priorité pour faire redémarrer l’économie en Croatie serait de créer un climat propre à attirer les investissements. En attendant, je remarque que plus de la moitié du capital des entreprises de production de biens et services en Croatie est contrôlée par l’Etat, soit directement ou indirectement. C’est excessif.»
L’épine Josip Perković
Si le site Presseurop consacre un important dossier à cette adhésion, les signaux sont clairement au rouge: la chancelière allemande, Angela Merkel, par exemple, «a annulé sa participation […] aux célébrations. Pour les médias croates, cette attitude s’explique par la tentative [de leur] gouvernement […] de ne reconnaître les mandats d’arrêt européens que pour des faits postérieurs à 2002. Une décision qui préserve donc l’ex-agent des services secrets, Josip Perković, recherché par l’Allemagne pour le meurtre d’un immigré yougoslave en 1983», comme l’explique le Huffington Post américain.
Le quotidien conservateur croate Večernji List s’interroge donc: «Merkel veut montrer que le gouvernement croate n’est pas vraiment démocratique. Pire encore, il protège des individus soupçonnés de meurtre politique. Il dissimule ainsi un sombre passé. […] On pensait que cela ne [la] dérangerait pas […] que la Croatie ne fasse aucun cas du système judiciaire allemand pendant des années, le tourne en dérision et refuse de collaborer avec les autorités germaniques. Une grossière erreur. […] L’Allemagne vient de montrer qu’elle n’avait aucune confiance dans l’Etat de droit croate.»
«Une UE à 36?»
Que dire alors de ceux qui piétinent sur le seuil? C’est «un signe d’espoir pour le reste des pays des Balkans qui aimeraient à leur tour rejoindre le club», constate Libération. Et de se demander: «Après la Croatie, une UE à 36?» Ce nouvel élargissement, pour Les Echos, «n’est vraisemblablement pas le dernier. La Serbie espère ouvrir des négociations d’adhésion en janvier ou encore le Kosovo obtenir un accord de stabilisation et d’association, première étape vers l’adhésion. La Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro sont aussi dans les starting-blocks, comme l’Albanie. Au-delà, l’Islande a entamé des négociations pour son adhésion et la Géorgie, l’Ukraine ou encore l’Arménie rêvent un jour de faire partie de l’Union. Sans parler de la Turquie. Or pour l’Union européenne, ces élargissements risquent de devenir de véritables pièges.»
Car à 27, l’Europe est déjà réputée ingouvernable. Alors en attendant le jour hypothétique d’une UE recouvrant les frontières géographiques – avec ou sans la Suisse? – «là-bas, désormais, les concombres seront calibrés selon des normes technocratiques et communautaires. Le pays va enfin connaître l’ordre et l’austérité, la morgue condescendante de M. Barroso, une avalanche de décrets administratifs. Il pourra recevoir, à son tour, réprimandes de la Commission et coups de «règle d’or» sur les doigts», commente avec amertume Le Dauphiné libéré.
Tout ne fait que commencer
Reste que «la Croatie va pouvoir compter chaque année sur un chèque de Bruxelles, allant jusqu’à 2 milliards d’euros, une jolie somme», constate le quotidien allemand Die Welt, cité dans la revue de presse de France Culture. Elle «représente pas moins de 4% du PIB du pays. Mais une question se pose: les autorités et les entreprises seront-elles capables de mettre sur pied des projets de développement suffisamment intéressants, pour obtenir ces financements de l’Europe?»
Et d’insister sur le fait que l’économie croate va «devoir faire face à une concurrence plus sévère. La suppression des aides de l’Etat à des secteurs comme la construction navale et l’agriculture en particulier va rendre la situation plus difficile. Les entreprises vont aussi perdre leurs privilèges douaniers avec les pays de l’ex-Yougoslavie, qui absorbent près de 40% des exportations croates. Sans compter que le prix de ces exportations justement va augmenter de 10%.»
Ce 1er juillet 2013, tout ne fait décidément que commencer pour Zagreb.