Le coup d’envoi de «Russie-Union européenne – Année de la science 2014» a été donné à Moscou en novembre. Il a été consacré à la présentation de multiples projets de recherche communs. L’Europe produit au moins un tiers des connaissances scientifiques au monde. La Russie, pour sa part, a une longue et riche histoire en la matière. Ainsi la communauté scientifique allant de Lisbonne à Vladivostok s’attend à une année faste. A l’évidence, ce ne sont pas les tensions géopolitiques liées au projet européen de Partenariat oriental et la crise en Ukraine qui feront dérailler l’entente entre les deux voisins.

«Logiquement, la Russie a tout intérêt à regarder vers l’Ouest, au lieu de lorgner vers la Chine», explique Hosuk Lee-Makiyama, directeur de l’European Centre for International Political Economy (Ecipe), un centre de recherches et d’analyses basé à Bruxelles. «Elle a besoin d’investissements, tant en équipements qu’en expertise pour rehausser le niveau de ses industries.» Selon lui, les crises actuelles, mais aussi passées, relèvent d’une méfiance qui, désormais, se justifie de moins en moins tant du côté européen que du côté russe.

Nicu Popescu, analyste à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (ISS), abonde dans ce sens. «Fondamentalement, les deux pays voisins s’entendent plutôt bien, dit-il. Les chefs d’Etat et les dirigeants d’entreprise européens rencontrent régulièrement Vladimir Poutine.» L’Europe représente le plus grand marché pour les exportations russes, principalement des hydrocarbures (213 milliards d’euros en 2012). La Russie est le troisième client pour les exportations européennes (123 milliards d’euros). Les entreprises européennes sont aussi les premiers investisseurs dans l’économie russe. «Il y a certes quelques conflits commerciaux, mais la base des relations est bonne et saine», poursuit l’expert. En août, Bruxelles a porté plainte à l’Organisation mondiale du commerce contre une taxe à l’importation automobile introduite par Moscou.

Sur un autre registre, l’Europe ne subit plus le diktat énergétique de la Russie comme ce fut le cas dans le passé. «Cette période est révolue, se réjouit Nicu Popescu. Avec l’exploitation du gaz de schiste, notamment aux Etats-Unis, puis avec l’arrivée du gaz liquide du Qatar en Europe et enfin avec la baisse de la consommation européenne, les exportations russes sont en baisse. L’an dernier, la Norvège est devenue, pour la première fois, le plus grand fournisseur de gaz naturel de l’UE. «La Russie a ainsi perdu son levier pour s’imposer dans toutes les négociations bilatérales», ajoute l’expert.

Un changement de paradigme qui donne des ailes à Bruxelles. L’Europe n’hésite plus à être plus affirmative face à Moscou. Nicu Popescu n’exclut pas que le commissaire à la Concurrence impose bientôt une forte amende au géant russe Gazprom pour pratique monopolistique et l’oblige à restructurer ses opérations en Europe. «Désormais, les menaces russes de fermer le robinet de gaz ne provoquent pas les mêmes angoisses qu’il y a dix ans», dit-il.

René Schwok, professeur à l’Institut européen de l’Université de Genève, constate toutefois que l’UE ne parle pas toujours d’une seule voix face à la Russie. Selon lui, les anciens satellites de l’ex-empire soviétique (Pologne, Lituanie) tiennent un langage plutôt virulent, alors que d’autres, l’Allemagne en tête, insistent sur des bonnes relations basées sur le respect des valeurs fondamentales. Une troisième catégorie, dont fait partie la France, est indifférente.

«Dans ce dossier comme dans d’autres, Moscou ne considère pas la Commission comme un interlocuteur crédible, renchérit Hosuk Lee-Makiyama. Raison pour laquelle il préfère parfois négocier des accords individuellement avec les pays.» C’est ce qu’il a fait avec l’Allemagne, intéressée avant tout à assurer sa propre sécurité d’approvisionnement de gaz.

Pour Nicu Popescu, Moscou est responsable du désistement de l’Ukraine, la semaine dernière, de la signature de l’accord d’association avec l’UE. «Il interdit à ses partenaires de la Communauté économique euro-asiatique de signer des accords commerciaux avec d’autres pays ou d’autres régions, explique-t-il. C’est absurde. Chaque pays doit avoir le droit de multiplier les accords s’il y va de son intérêt.» L’expert de l’ISS rappelle qu’un projet de créer une zone économique continentale est sur la table depuis 2005, mais que Moscou n’y a jamais montré un vrai intérêt.

Et pourtant les deux voisins se parlent, en tout cas deux fois par année. Le 32e sommet qui était prévu à la fin du mois a été renvoyé à fin janvier. «L’Europe n’est pas contre la Russie; Moscou est un partenaire stratégique, a affirmé lundi Maja Kocijancic, ­porte-parole de la Commission. Notre initiative pour signer un accord d’association avec l’Ukraine n’est pas menée aux dépens de la Russie, mais pour assurer la prospérité et la sécurité de tous.»

Deux principales pommes de discorde reviennent sur la table de négociations. L’UE insiste sur le respect des droits humains et la liberté d’expression en Russie qui, selon elle, est lacunaire. Pour sa part, Moscou réclame d’exempter les citoyens russes de visa d’entrée en Europe. Le Kremlin souhaite recevoir à l’avance la liste des passagers aériens arrivant en territoire russe. Ce que Bruxelles refuse catégoriquement.

«Les menaces russes de fermer le robinet de gaz ne provoquent plus les mêmes angoisses qu’il y a dix ans»