Europe centrale
Jan Kuciak avait publié des enquêtes sur des soupçons de fraudes fiscales impliquant Ladislav Basternak, le propriétaire d’un complexe immobilier dans lequel réside le premier ministre Robert Fico

Il était âgé de 27 ans seulement, mais Jan Kuciak, du site Aktuality.sk (propriété, comme Le Temps, de Ringier Axel Springer), figurait déjà dans le carré de tête des meilleurs journalistes d’investigation de Slovaquie. Visage poupin, il a été assassiné à bout portant avec sa compagne, Martina Kusnirova, dans la maison que le couple envisageait de retaper, à 65 kilomètres de la capitale, Bratislava. Le mobile du meurtre est «très probablement lié» à son travail, selon la police locale.
C’est la mère de Martina Kusnirova, sans nouvelles du couple depuis plusieurs jours, qui a donné l’alerte. Les secours ont trouvé lundi 26 février deux corps sans vie, gisant non loin l’un de l’autre. Lui avait été touché à la poitrine; elle, à la tête. La date exacte de leur mort, entre le 22 et le 25 février, n’est pas encore établie.
Contexte tendu
Un tel assassinat de journaliste par balle est une première depuis que ce pays d’Europe centrale a rejoint l’Union européenne (UE), en 2004. Il suscite autant de sidération que d’émotion: ces dix dernières années, Reporters sans frontières a fait état de «seulement» trois meurtres de journalistes au sein de l’UE, en dehors du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, en 2015.
Mais la mort violente de Jan Kuciak survient dans un contexte particulièrement tendu. Depuis le retour au pouvoir du populiste de gauche (SMER) Robert Fico, en mars 2016, dans une coalition avec l’extrême droite, la presse slovaque a sorti plusieurs affaires de corruption impliquant le gouvernement. Et en pleine conférence de presse, le chef de l’exécutif, interrogé sur des révélations gênantes pour son pouvoir, a déjà insulté les journalistes, traitant certains d’entre eux de «sales prostitués antislovaques».
Pour sa part, Jan Kuciak avait publié des enquêtes sur des soupçons de fraudes fiscales impliquant Ladislav Basternak, le propriétaire d’un complexe immobilier dans lequel réside Robert Fico. En septembre 2017, il avait déposé une main courante à l’encontre d’un autre businessman, Marian Kocner, qui avait également acquis un appartement dans cet immeuble, avec l’intention de le revendre. Sur Facebook, Jan Kuciak avait dit avoir été menacé par ce dernier et disait avoir porté plainte, sans avoir jamais eu de réponse de la police, quarante-quatre jours après. Le journaliste avait également écrit sur un autre oligarque proche du parti au pouvoir, Miroslav Bödör.
«Un mauvais signal»
«Sa mort est une grande perte pour la Slovaquie et un très mauvais signal envoyé à ceux qui se montrent critiques», a réagi Gabriel Sipos, de Transparency International, qui connaissait Jan Kuciak depuis deux ans.
L’opposition juge toutefois problématique tout maintien d’un membre du parti SMER au Ministère de l’intérieur. «Les gens du SMER ont multiplié les attaques verbales à l’encontre des journalistes, s’insurge la députée Veronika Remisova. Ils ont participé au développement d’un climat délétère.»
Le ministre de l’Intérieur Robert Kalinak, lui-même souvent visé par le travail d’investigation de journalistes de son pays, a promis de tout faire pour que l’enquête aboutisse. Le gouvernement offre même un million d’euros à toute personne fournissant des informations permettant de confondre les assassins du journaliste et de sa compagne.