En janvier prochain, Carl Levin va retrouver la présidence de la Commission des forces armées du Sénat, dans laquelle les démocrates n'ont joué guère plus qu'un rôle de figurants ces dernières années. En attendant que se mette en place la nouvelle constellation parlementaire voulue par les électeurs le 7novembre, le sénateur a les idées claires: il propose que, dans les six mois, les forces américaines commencent leur «redéploiement» en Irak, c'est-à-dire leur retrait progressif. «Le problème en Irak est un problème politique. Il n'y a pas de solution militaire», insistait-il à la télévision.
C'était, déjà, le message des électeurs qui ont lourdement sanctionné les républicains. C'est le message que transmet une bonne partie de la hiérarchie militaire américaine. Celui, aussi, qu'a adressé à Bush, la semaine dernière, le premier ministre irakien Nouri al-Maliki. Le même message, enfin, que va sans doute délivrer mercredi le Groupe d'étude sur l'Irak présidé par l'ancien secrétaire d'Etat James Baker. Partout, la même clameur autour de George Bush: trouver une stratégie de sortie.
Mais il manquait encore une pièce à cet étau qui se referme sur le président américain. Elle est arrivée avec les allures d'une bombe, samedi, sur le site internet du New York Times: un mémorandum classé top secret, envoyé à la Maison-Blanche par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld le 6 novembre dernier, deux jours à peine avant qu'il soit «démissionné» par George Bush. «De mon point de vue, écrit Rumsfeld, il est temps pour un ajustement majeur. Clairement, ce que les forces américaines font actuellement en Irak ne fonctionne pas assez bien, ou assez rapidement.» Que propose Donald Rumsfeld, le principal architecte de la guerre en Irak? «Commencer des retraits modestes des forces américaines pour que les Irakiens se secouent et prennent la responsabilité de leur pays.» Que préconise le dernier des fidèles qui, contre vents et marées, a toujours défendu la manière dont la guerre était menée, quitte à mépriser publiquement ceux qui ne voulaient pas «garder le cap» en Irak? Réduire progressivement le nombre de bases américaines de 55 actuellement à 5, et faire des unités de combat une «force d'action rapide» beaucoup moins vulnérable qu'actuellement.
Isolé du monde réel
Ses 21 suggestions, Donald Rumsfeld les accompagnait aussi de conseils plus politiques, comme essayer de «minimiser» les attentes des Américains sur les objectifs à atteindre, ou encore annoncer que la nouvelle approche consiste en un simple «essai». «Cela nous donnera la possibilité, si nécessaire, de réajuster et de changer notre politique sans que cela soit vu comme un échec.» Ces différentes options ne sont pas très différentes de celles que devraient défendre James Baker et ses collègues. Certaines d'entre elles vont même plus loin. Elles ont un goût comparable à celles que préconisent les démocrates les plus critiques envers la guerre d'Irak, regroupés notamment autour du parlementaire John Murtha. Et le fait que ce document ait été rendu public précisément maintenant, juste avant cette semaine qui s'annonce cruciale, n'est sans doute pas anodin. Forcé de quitter le navire, c'est comme si Rumsfeld laissait seul George Bush, tout à sa promesse de «finir le travail en Irak».
Seul avec sa promesse, et seul face aux critiques de plus en plus acerbes. «Bush est plus isolé que jamais du monde réel. C'est effrayant, écrivait dimanche Frank Rich dans sa chronique du New York Times qui fait référence. Ce n'est pas qu'il n'arrive pas à gérer la réalité en Irak. Il ne sait pas quelle est cette réalité.»