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Un responsable de l'ONU détaille le «nettoyage ethnique» en cours au Darfour

De retour de mission, le représentant du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU dénonce les atrocités commises par les forces paramilitaires contre les populations non arabes.

Alerte rouge au Darfour. De retour d'une mission dans la province occidentale du Soudan, du 12 février au 26 mars, le représentant du Bureau de coordination des affaires humanitaires d'urgence de l'ONU (OCHA) a détaillé hier à Genève le «nettoyage ethnique» qui s'y déroule. Daniel Augsburger a affirmé avoir été témoin «de nombreuses atrocités, de très graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire, de viols et de pillages». Des violations commises essentiellement par les milices arabes pro-gouvernementales contre les populations sédentaires non arabes, dont plus de 800 000 ont été chassées de leur foyer et ont dû fuir vers le Tchad ces derniers mois.

Pour ce fonctionnaire international suisse, trois éléments justifient la qualification de «nettoyage ethnique»: «l'intention, les groupes ethniques ciblés (Four, Zaghawa, Messalites et Birgit), et la chaîne de responsabilités». Dans son rapport, dont Le Temps s'est procuré un extrait, il détaille de quelle manière les milices Janaweed soutenues par le gouvernement de Khartoum procèdent: «Le déroulement est le suivant: désengagement total de l'administration et suspension de tous les services. Les approvisionnements et les salaires ne sont plus payés, laissant les populations dans un vide où la loi et l'ordre deviennent précaires. […] Ces villages sont ensuite accusés d'être passés sous le contrôle du SPLA [le mouvement de guérilla du Sud-Soudan, ndlr]. […] Sur la base de cette supputation, le processus d'éviction commence. Des attaques sont lancées, soit conjointement entre forces aériennes soudanaises et milices pro-gouvernementales (Janjaweed), soit Janjaweed seuls. […] La violence est systématique, des gens sont tués (surtout des hommes), les biens incluant les troupeaux sont pillés, les maisons brûlées. Si les gens ne partent pas immédiatement, poursuit le rapport, une seconde attaque encore plus meurtrière est menée, et les civils qui n'avaient pas fui n'ont d'autre choix que de gagner le «lieu sûr» le plus proche, généralement lui aussi attaqué.»

Ce vendredi à New York, le patron d'OCHA, le Néerlandais Jan Egeland, doit présenter devant le Conseil de sécurité de l'ONU un exposé sur le Darfour. Rien n'indique qu'il reprendra à son compte la qualification de «nettoyage ethnique», pourtant employée par le représentant de l'ONU à Khartoum, Mukesh Kapila, ainsi que par le groupe d'experts qui, avec Jean Ziegler, ont rédigé un rapport sur la province.

Groupes cibles

Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, parle pour sa part de «violations contre des groupes ciblés». Car le débat sur cette question fait rage actuellement dans les instances onusiennes et dans les chancelleries. «La prudence de certains s'explique par leur processus de paix actuellement en cours dans le pays, analyse Daniel Augsburger: celui entre Khartoum et le SPLA, et celui de N'Djamena», qui en est à ses débuts. Les représentants de Khartoum et les groupes rebelles du Mouvement de libération du Soudan (MLS) et du Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) ont en effet commencé à dialoguer ces derniers jours dans la capitale tchadienne. «Dans ce contexte, personne ne veut prendre le risque de faire capoter ces processus fragiles en utilisant une terminologie qui pourrait braquer l'une ou l'autre partie. Mais quel serait le sens de déployer des casques bleus entre le Sud et le Nord-Soudan si un nettoyage ethnique est avéré dans l'ouest?» s'interroge-t-il.

Ce débat sur la qualification des violations commises au Darfour irrite les milieux humanitaires, pour lesquels il est urgent d'intervenir. Si, pour Daniel Augsburger, «il ne s'agit en aucun cas d'un génocide», les organisations de défense des droits de l'homme tirent, elles, le signal d'alarme. Dans un rapport rendu public ce vendredi – «Darfour en flammes, les atrocités dans l'ouest du Soudan» – Human Rights Watch appelle ainsi le secrétaire général de l'ONU à dépêcher une commission d'enquête sur place pour témoigner ensuite devant la Commission des droits de l'homme.