Les élections départementales, en mars 2015, avaient laissé un goût amer au Front national, incapable de l’emporter dans un seul département français. Huit mois après, le premier tour du scrutin régional a démontré dimanche soir que le FN n’en a pas moins, depuis, poursuivi sa progression, surtout là où son implantation locale est forte.

Dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la municipalité FN de Hénin Beaumont, où vote Marine Le Pen, est devenue un fief presque incontesté. En Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), la ville de Fréjus, dirigée par le sénateur FN David Rachline, lui sert de vitrine. En Languedoc-Roussillon, le parcours gagnant du maire «bleu marine» Robert Ménard explique largement le très bon score de Louis Aliot, le compagnon de la présidente du FN, arrivé en tête dans sa région.

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On pourrait multiplier les exemples. Ils vont tous dans le même sens. Il faut bien sûr garder en tête qu’il s’agissait d’un premier tour, que les abstentionnistes (près de 51%) étaient ce dimanche le premier parti de France, et qu’un sursaut républicain entre les deux tours peut changer la donne. Mais l’idée selon laquelle le vote Front national est «protestataire» ne correspond plus du tout à la réalité politique. Les électeurs du parti d’extrême droite, de plus en plus nombreux, veulent lui confier les leviers du pouvoir. C’est un fait. Un tiers des Français le jugent capable de gouverner, surtout dans un pays en état d’urgence confronté de plein fouet au défi sécuritaire. A l’évidence, le fait que la «nation» soit un mot martelé par tous depuis les attentats du 13 novembre a levé de nouvelles barrières. Marine Le Pen, en évoquant dimanche soir le «sens profond des responsabilités» que lui inspire cette victoire aux régionales, a logiquement cherché à profiter de cette attente.

La question, dès lors, n’est plus de faire barrage par des calculs électoraux au parti fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, dont on notera au passage la totale disparition dans cette campagne pour les régionales dans laquelle sa fille a eu les mains complètement libres. Les partis traditionnels de la gauche et de la droite française peuvent, bien sûr, additionner leurs suffrages, mobiliser et arriver in fine à limiter le 13 décembre le basculement vers le FN. Mais la pente est beaucoup plus glissante que les scores ne le laissent croire. Avec plus de 41,2% en PACA, Marion Maréchal-Le Pen, âgée seulement de 26 ans, sans autre expérience professionnelle que son élection à l’Assemblée nationale en juin 2012, démontre que l’édifice est durablement fissuré. Impossible, aussi, de ne pas remettre les 40,3% de Marine Le Pen dans le nord dans le contexte historique de cette région ouvrière, traditionnellement socialiste mais aussi terre de grands lignages industriels. C’est au cœur du pouvoir français, irrigué par des métropoles comme Lille (Nord), Marseille (PACA), Strasbourg (Grand Est) ou Montpellier/Toulouse (Languedoc-Roussillon), que le FN est désormais installé. L’irréalisme économique de ses thèses protectionnistes, le venin xénophobe qu’il distille, la guerre de civilisation que ses candidats cherchent de longue date à nourrir à force de déclarations fracassantes… tout cela est mis de côté. Le ras-le-bol est le plus fort.

La France est, au soir de ce premier tour des régionales, en état de choc. Avec, comme première victime collatérale, l’ancien président Nicolas Sarkozy qui, à force d’aller surfer sur les thèmes du FN, a de fait fini par pousser ses électeurs vers Marine Le Pen. La France paie surtout, ce dimanche soir, le prix de l’impopularité chronique de François Hollande, même si celui-ci est remonté dans les sondages après les attentats. Avec, à sa tête, un exécutif en manque cruel de charisme, confronté à une stagnation économique entretenue par le manque de volontarisme des réformes, le pays réel gronde de plus en plus d’une envie de changement et d’alternance en dehors de Paris et des élites traditionnelles. Cette réalité est l’une des principales leçons de ce premier tour de scrutin. La nier, en prétextant qu’il s’agit seulement d’un scrutin local, serait à un an et demi de la présidentielle de mai 2017, la plus dangereuse des attitudes.