Le Temps: En tant qu’Africain, pensez-vous qu’il y a matière à célébrer les 50 ans d’indépendance?
Demba Moussa Dembele: C’est comme un verre à moitié plein. Il y a eu des progrès – je pense à l’éducation. N’oublions pas le contexte: le colon ne voulait pas de cadres locaux contestant sa domination, tout était à faire. Au niveau de l’administration, les dirigeants ont tenté de répondre aux besoins de la population. Bien sûr, beaucoup de choses ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Nous n’avons pas de leaders éclairés capables de répondre aux pressions néocolonialistes. L’économie reste basée sur l’exportation de produits primaires, il n’y a pas eu de dynamique interne.
– Sur une échelle de 1 à 10, où situez-vous aujourd’hui le degré d’indépendance?
– Je séparerais les pays en plusieurs catégories. Dans l’Afrique australe, venue plus tard à l’indépendance, le nationalisme est plus ancré, comme le montre la solidarité avec le Zimbabwe. L’Afrique francophone reste le maillon faible, je ne la mettrais pas très haut sur l’échelle, sauf le Mali peut-être. Certains dirigeants ont pris au mot Nicolas Sarkozy quand il a fait son discours de rupture avec la «Françafrique» – ainsi le président sénégalais Wade, qui a annoncé en avril la reprise des bases militaires françaises, ou le Niger, qui a joué sur la concurrence chinoise pour renégocier le contrat sur la fourniture d’uranium. Mais la Françafrique reste très active dans certains pays, comme le Gabon.
– Sur le plan économique, l’Afrique s’émancipe-t-elle?
– La dépendance s’est plutôt accentuée. Les programmes d’ajustement du FMI et de la Banque mondiale sont passés par là. Les privatisations ont profité aux groupes étrangers, et les Etats sont privés de leviers qui favoriseraient l’intégration régionale.
– Le FMI et la Banque mondiale ont-ils assoupli leur approche?
– Sur le terrain, je vois un décalage entre leur rhétorique et la réalité. Un exemple: une récente mission du FMI au Sénégal demande d’augmenter les prix de l’électricité, alors que la population proteste contre les coupures de courant et les factures élevées. Cette intervention a provoqué un tollé, un ministre a menacé de démissionner.
– Pourquoi le panafricanisme s’est-il enlisé?
– Des divergences idéologiques opposaient les progressistes qui voulaient une union rapide et les pragmatiques proches de la France. Les seconds craignaient aussi une domination anglophone. Les ex-colons ont tout fait pour freiner les velléités de regroupement, et les leaders panafricanistes ont parfois été assassinés, ou renversés par des coups d’Etat.