Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE ont trouvé une raison de plus de décourager les électeurs de se rendre aux urnes entre le 4 et le 7 juin prochain.

Conviés à renouveler le Parlement européen – supposé être le creuset de la démocratie communautaire – ces derniers ne pourront pas, en effet, influer par leur vote sur le choix du futur président de la Commission, dont les deux missions principales, rappelons-le, sont de défendre «l’intérêt général» européen grâce à son monopole d’initiative législative, et d’être le gardien des Traités.

Sauf chamboulement énorme de l’équilibre politique actuel au parlement de Strasbourg, verrouillé par l’alliance majoritaire entre les groupes démocrates-chrétiens et socialistes, le président sortant José-Manuel Barroso sera de nouveau investi le 15 juillet par l’assemblée fraîchement élue. Laquelle n’a pas le pouvoir de sélectionner les candidats, mais d’avaliser ou non le choix des Etats membres. Or ces derniers, pour la plupart, se sont prononcés depuis plusieurs semaines en faveur d’un second mandat pour l’ancien premier ministre portugais, en poste à Bruxelles depuis 2004.

Ce tour de passe-passe assez antidémocratique n’a rien d’un coup d’Etat institutionnel. Il respecte à la lettre les textes, qui donnent aux dirigeants de l’UE le pouvoir de désigner un candidat, soumis ensuite au vote du parlement. A charge pour l’intéressé, une fois nommé, de composer ensuite durant l’été son cabinet de 27 commissaires – un par Etat membre – que les eurodéputés auditionneront en octobre selon le même principe: ils ne choisiront pas les nouveaux nominés, mais pourront refuser de leur voter la confiance. Et donc bloquer leur nomination.

Le problème posé par la reconduction attendue de José-Manuel Barroso est en revanche dangereuse sur le plan électoral, car elle souligne deux faiblesses intrinsèques du scrutin européen toujours menacé, on le sait, par la tentation d’une forte abstention.

La première de ces faiblesses est, purement et simplement, la pertinence du vote. A quoi sert, en clair, de se rendre aux urnes et de déposer un bulletin pour un parti (les eurodéputés sont élus à la proportionnelle) si ce scrutin n’influe qu’à la marge le choix de cette clé de voûte de l’UE qu’est le président de la Commission? Parler sans cesse de renforcer les pouvoirs du parlement européen n’a guère de sens au vu d’une pareille donne. Qu’est-ce qu’une élection sans suspens et sans le risque d’une sanction pour l’exécutif? Surtout en période de crise économique, et de vif débat sur le bien fondé ou non, des actions et des anticipations de la Commission.

La seconde faiblesse, plus préoccupante encore, est celle des alliances contre-nature au sein de l’Europarlement qui, contrairement à ses homologues nationaux, ne connaît pas le système majorité-opposition. Les deux grands groupes PPE (Démocrates-chrétiens) et PSE (Socialistes) y fonctionnent en réalité main dans la main, avec l’appoint de l’ALDE (Libéraux) pour la répartition des postes et l’élection du président du Parlement, d’ordinaire issu d’un des deux principaux camps en alternance. Plus grave: les interférences nationales vont bon train. La majorité des socialistes européens, souvent contre leur gré, ont ainsi été priés par leurs capitales d’accepter la reconduction du conservateur José-Manuel Barroso contre lequel le PSE n’a pas de candidat. L’Espagne et le Portugal, deux pays où le PS est au pouvoir, se sont clairement prononcés en sa faveur. Fermez le ban.

Un autre talon d’Achille, en plus de l’équation Barroso, handicape enfin ce scrutin Européen: le flou autour du Traité de Lisbonne dont le sort reste aux mains du sénat tchèque – où les débats risquent d’être torpillés par la crise politique actuelle et la nomination, le 7 avril, d’un gouvernement intérimaire de technocrates – et des électeurs irlandais, qui devront voter lors d’un second référendum, sans doute en septembre. Or la future architecture institutionnelle de la Communauté en dépend. Difficile, dans un tel flou et face à de telles combines gouvernementales, de ne pas décourager l’électeur moyen. Et de ne pas donner du grain à moudre aux eurosceptiques de tout bord, déjà dopés par la crise. Et par le sentiment d’inaction de l’Europe face au séisme économique et social qu’elle engendre.