Une épée de Damoclès financière sur l’OMS
Financement
Avec la décision de l’administration Trump de geler la contribution américaine à l’Organisation mondiale de la santé, celle-ci craint de devoir faire des choix difficiles. Elle souffre depuis les années 1980 d’un manque de volonté des Etats membres de lui attribuer des financements fixes

Depuis des semaines, l’Organisation mondiale de la santé est montrée du doigt. Les fréquentes attaques de Donald Trump, qui veut retirer le soutien américain, fragilisent l’institution basée à Genève. Le point en quatre articles.
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Une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les Etats-Unis ont gelé leur financement pour une période de 60 à 90 jours pour que l’OMS fasse une réévaluation de son action jugée par Washington trop favorable à Pékin. Or les Etats-Unis demeurent le principal bailleur de fonds de l’agence onusienne. Pour 2020-2021, ils financent l’organisation à hauteur de 236,9 millions de dollars de contributions obligatoires et de 316,1 millions de contributions volontaires, soit au total 553 millions (11% du total). Quant à la Chine, deuxième puissance économique de la planète qui se profile comme le héraut du multilatéralisme à la suite du discours de Xi Jinping à Davos et à Genève en janvier 2017, sa contribution à l’organisation demeure modeste: 187,5 millions en tout.
«Un crime contre l’humanité»
L’OMS est-elle en danger? Selon l’organisation, 81% du budget est financé au 31 mars de cette année. Mais ce chiffre est trompeur. Si l’on considère les financements nécessaires au volet humanitaire de l’OMS dans le cadre de la pandémie, les fonds seront vite épuisés et ne permettront pas de mener tous les autres programmes à bien. Pour les 90 prochains jours, aucun problème de cash-flow n’est à craindre. Semblant prouver que la décision de geler le financement ne découle pas de la manière dont l’OMS a géré la pandémie jusqu’ici, les Etats-Unis ont des arriérés de paiement se montant à 117 millions de dollars environ pour 2019 et à 203 millions pour 2020. Un fait relativement habituel sous l’administration Trump avec les Nations unies.
Rédacteur en chef du Lancet, le médecin Richard Horton n’a pas de mots assez durs pour qualifier le gel américain: c’est, pour lui, un «crime contre l’humanité». «Si ce gel devait se confirmer, il affaiblirait l’OMS, mais ouvrirait aussi l’espace à la Chine et à d’autres acteurs», relève un diplomate européen.
La faiblesse financière de l’OMS est son talon d’Achille. Mais elle n’est pas nouvelle. A l’Assemblée mondiale de la santé à Genève, en 2015, Angela Merkel avait exhorté les Etats à accroître le financement obligatoire des 194 Etats membres. La chancelière allemande le déclarait de manière prémonitoire: «La santé d’une personne est la santé des autres. L’efficacité du système sanitaire d’un pays a un impact sur celui d’autres pays ainsi que sur la sécurité et la stabilité» du monde.
Depuis les années 1980, les contributions obligatoires n’ont quasiment pas augmenté. «Les chances que les Etats membre acceptent de les augmenter sont maigres», relève Andrew Harmer, professeur de santé globale à la Queen Mary University of London. Un diplomate européen ajoute: «Nous restons dans un monde très westphalien. D’une certaine manière, les Etats ont choisi délibérément de maintenir l’OMC faible structurellement. Ce qui est en revanche positif, c’est que l’OMS a diversifié ses sources de financement et ainsi réduit ses risques.»
Début de la stagnation avec Reagan
Selon Andrew Harmer, l’OMS a déjà traversé plusieurs crises de ce genre. Ancien conseiller juridique de l’OMS et professeur associé de droit international à l’IHEID, Gian Luca Burci précise toutefois: «C’est à partir des années 1980, sous la présidence de Reagan, que cela a commencé. Et c’est à partir de là que les contributions obligatoires ont stagné et que les contributions volontaires ont augmenté.»
Aujourd’hui, l’OMS ne peut compter que sur 20% de revenus issus des premières et 80% issus des secondes. C’est très problématique car l’organisation ne peut compter sur un budget fixe et élaborer des programmes en conséquence. Elle est tributaire du caractère parfois aléatoire des contributions volontaires qui sont souvent dévolues à des programmes spécifiques. La Fondation Bill et Melinda Gates par exemple, troisième plus grand contributeur de l’OMS, finance beaucoup les programmes de vaccination du type polio. Les gros donateurs peuvent aussi exercer des menaces sur l’OMS. Ce n’est pas le cas avec le financement obligatoire. En cas de défaut de paiement, l’Etat est exclu momentanément des débats.
Gian Luca Burci voit d’autres problèmes: cet état de fait entraîne une distorsion des priorités de l’OMS. Les maladies non transmissibles (cardiovasculaires, diabète) risquent d’être négligées. Les unités de l’organisation sont tributaires de donateurs et se livrent une compétition interne dans la quête de fonds. L’OMS devrait aussi faire le ménage. Un programme contre la cécité existe pour la seule raison qu’il est financé par l’Arabie saoudite. Motif? L’un des membres de la famille royale est aveugle…