Une fondation suisse au secours (financier) de l’OMS
Santé globale
Mercredi soir, l’ex-chef de l’Office fédéral de la santé publique Thomas Zeltner a présenté à Genève la WHO Foundation, qui prévoit d’apporter à l’Organisation mondiale de la santé près de 3 milliards de francs d’ici à 2023. Une perspective apaisante à l’heure où Donald Trump envisage de geler la contribution américaine de 553 millions de dollars pour les deux ans à venir

Dans moins d’un mois, le couperet de Donald Trump va tomber. Il pourrait pérenniser le gel des contributions des Etats-Unis à l’Organisation mondiale de la santé, soit 553 millions de dollars pour la période 2020-2021 (11% du budget total). Le président américain a beau laisser entendre qu’il pourrait éviter une telle mesure si l’OMS montrait son indépendance vis-à-vis de Pékin, il pourrait bien baser sa décision sur des considérations purement électorales. Le cas échéant, le coup pour l’OMS serait très dur. Sur cette sombre toile de fond, une lueur d’espoir toutefois. Presque inespérée.
Coïncidence de calendrier
Mercredi a vu le jour à Genève la WHO Foundation, une fondation de droit suisse, cocréée par Thomas Zeltner, directeur de l’Office fédéral de la santé publique de 1991 à 2009. Elle apportera un financement à l’OMS pour l’aider à mettre en œuvre son plan stratégique de cinq ans visant à «protéger 1 milliard de personnes des urgences sanitaires, à fournir une couverture médicale universelle à 1 milliard d’individus qui en sont encore privés et à assurer la santé et le bien-être d’un autre milliard d’ici à 2023». Thomas Zeltner, qui est le président de la fondation et le CEO ad interim jusqu’à ce qu’un directeur exécutif soit nommé, a signé hier à l’OMS un protocole d’accord avec le directeur général de l’organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
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La lutte contre les pandémies telles que le Covid-19 entre pleinement dans le cadre de l’aide financière qu’apportera la fondation, même si le financement de la fondation sera beaucoup plus large. Selon l’ATS, la fondation devrait financer les activités de l’OMS à hauteur de 3 milliards de dollars (2,9 milliards de francs) pour les trois à quatre prochaines années. Une somme considérable si on la met en regard du budget 2020-2021 de 4,8 milliards de dollars.
Le fait que la menace de Trump et la création de la WHO Foundation interviennent plus ou moins au même moment est une coïncidence. Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus le confirme: «C’est l’aboutissement de plus de deux ans de préparation et de travail» avec une équipe et des organisations partenaires.
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La fondation sera financée de manière non traditionnelle par le public, des mécènes privés et des sociétés privées. Porte-parole de l’OMS, dont la fondation est totalement indépendante, Fadéla Chaib le souligne: il incombera à la fondation de vérifier que les financements ne proviendront pas de bailleurs de fonds comme l’industrie de l’armement ou du tabac. «Nous nous assurerons qu’il n’y aura pas de conflit d’intérêts, poursuit le président de la fondation. En cas de doute, nous consulterons l’OMS, qui peut toujours refuser des fonds de notre part.»
Thomas Zeltner le précise au Temps: «L’objectif de la fondation est de diversifier» le financement de l’OMS «en capitalisant sur des marchés et des ressources inutilisés jusqu’ici». Et le Bernois d’ajouter: «La fondation recourra aussi à des mécanismes alternatifs de financement et des partenariats innovants avec une large palette de donateurs et partenaires.»
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Bien public mondial
Pour Fadéla Chaib, ce projet comble une lacune: «L’OMS est l’une des rares agences onusiennes à ne pas bénéficier du soutien d’une fondation.» Thomas Zeltner en est lui-même convaincu: «La santé est un bien public mondial et un droit de l’homme fondamental. Toute personne sur la planète, où qu’elle habite, quels que soient sa nationalité, son statut migratoire ou socioéconomique, a droit à une couverture médicale de haute qualité.»
Le projet de Thomas Zeltner, hébergé sur le site Whofoundationproject.org, tombe à point nommé. L’OMS fait l’objet de vives critiques de l’administration Trump, qui la juge trop «sino-centrique». Au début de la pandémie, quand l’organisation était encore largement focalisée sur Wuhan et la Chine, celui qu’on appelle docteur Tedros a été accusé d’avoir été trop élogieux envers Pékin en saluant sa «transparence». Or il apparaît que le pouvoir chinois a non seulement tardé à communiquer, mais qu’il a aussi mis sous silence des lanceurs d’alerte. A contrario, on reproche à l’OMS de ne pas avoir fustigé la gestion du Covid-19 par les Etats-Unis. Ces deux exemples montrent l’un des problèmes lancinants de l’OMS: sa faible assise financière, qui la rend tributaire du bon vouloir des grandes puissances. «80% de notre financement (contributions volontaires des Etats et fondations) ne sont pas flexibles et limitent notre marge de manœuvre», reconnaît le docteur Tedros, qui précise que la création de la fondation n’a rien à voir avec les menaces proférées par Washington. A l’heure actuelle, les Etats n’assurent de façon obligatoire que 20% du budget de l’OMS. Plusieurs Etats ont toutefois affirmé leur volonté, lors de l’Assemblée mondiale de la santé à la mi-mai, d’augmenter leur contribution.
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La fondation ne risque-t-elle dès lors pas d’être un oreiller de paresse pour les Etats? Thomas Zeltner ne le pense pas: «Le rôle de la fondation est complémentaire au financement des Etats membres et l’OMS dépend de leurs contributions pour mener à bien sa mission.»