Pour les Britanniques, c’est une petite révolution. Depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est la première fois que le Royaume-Uni est dirigé par un gouvernement de coalition formé des conservateurs et des libéraux-démocrates. Il y avait bien eu des partenariats entre travaillistes et libéraux-démocrates en 1974, mais jamais une coalition formelle. Il faut en outre remonter à Lord Liverpool, en 1812, pour avoir un premier ministre aussi jeune que David Cameron, 43 ans. Les cinq jours de négociations qui ont suivi les élections du 6 mai ont été, comme le soulignent les Britanniques, «dramatiques» et riches en rebondissements. Aujourd’hui, plusieurs questions essentielles affleurent: ce gouvernement est-il la moins mauvaise solution et va-t-il durer? Va-t-il pouvoir remettre le pays sur les rails de la bonne gouvernance financière? Une coalition entre tories et lib-dems constitue-t-elle un compromis boiteux qui ne s’explique que par l’avidité du pouvoir?

Concessions importantes

On a bien entendu envie de se laisser surprendre. Acculé par une dette et des déficits budgétaires importants, le pays a besoin de stabilité politique. C’est un peu la raison pour laquelle le patronat britannique a d’emblée apporté son soutien au nouveau gouvernement. Mais la stabilité gouvernementale semble fragile. L’éditorialiste de The Independent Steve Richards le qualifie déjà de gouvernement «le plus fragile de l’Histoire récente». La raison? Aussi bien le nouveau premier ministre conservateur David Cameron que le vice-premier ministre libéral-démocrate Nick Clegg ont apparemment fait d’importantes concessions. Au vu des défis qui attendent Downing Street, il ne sera pas facile de tenir ses promesses. Le premier a promis un référendum sur le système électoral pour répondre à la forte revendication des libéraux-démocrates désireux de jouer enfin un rôle national sur l’échiquier politique. Pour une bonne partie des tories, un système proportionnel serait un vrai cauchemar et une capitulation. Nick Clegg demande pour sa part que le Royaume-Uni renonce à la dissuasion nucléaire et au renouvellement des armes Trident. La réponse des conservateurs reste floue: le gouvernement va réfléchir à remplacer Trident, mais les libéraux-démocrates auront leur mot à dire. Au niveau de l’Europe, les positions sont a priori radicalement différentes. David Cameron a déjà annoncé à plusieurs reprises qu’il souhaitait rapatrier certaines compétences de Bruxelles à Londres en matière sociale. Il a eu jusqu’ici une attitude très eurosceptique. Nick Clegg, europhile, est sur une tout autre ligne. Les conflits potentiels au sein de la coalition sont considérables.

Pour les conservateurs, les risques de ce gouvernement sont multiples. Si la coalition fonctionne mal et qu’elle est incapable de prendre les décisions qui s’imposent pour redresser les finances du pays, ils seront contraints de convoquer de nouvelles élections. Dans un tel cas, David Cameron aura dilapidé une partie de son crédit. Et s’il n’a pas réussi à convaincre suffisamment l’électorat pour obtenir une majorité absolue aux Communes le 6 mai dernier, il ne sera pas dans une meilleure position dans un an. De plus, ce gouvernement fait face à l’une des situations les plus difficiles qu’ait connue le pays depuis la Seconde Guerre mondiale.

Pour les libéraux-démocrates, c’est le tout pour le tout. Avec cinq portefeuilles au sein du gouvernement Cameron, ils mettent fin à des décennies d’absence du pouvoir. Si la coalition obtient de bons résultats, il n’est pas sûr que ce soient eux qui en profitent les premiers, mais plutôt les tories. Si elle échoue, ils seront les boucs émissaires. Les lib-dems risquent enfin de mécontenter un électorat qui souhaitait un vrai changement du système électoral. La facture pourrait être salée lors de prochaines élections.

La chance des travaillistes

Quant aux travaillistes, ils se disent confiants d’entrer dans l’opposition en se disant qu’ils n’y resteront pas longtemps. C’était le sentiment qui les animait en 1951 et en 1979. Ils durent à cette époque attendre respectivement 13 et 18 ans avant de revenir au pouvoir. Les circonstances semblent toutefois différentes. Face à un gouvernement fragile, ils vont prendre le temps de se donner un nouveau leader après la démission de Gordon Brown. Avec David Milliband ou son frère Ed, une nouvelle dynamique pourrait être insufflée au sein du Labour. En cas de nouvelles élections, ils pourraient bénéficier des dommages d’image qu’auront subis les tories et les libéraux-démocrates. Le premier ministre sortant Gordon Brown a stratégiquement bien joué. En créant la surprise en démissionnant plus tôt que prévu, il a non seulement précipité la formation d’un gouvernement de coalition, mais il va permettre au Labour, fatigué par 13 ans de pouvoir, de se reconstituer.