ALLEMAGNE
La ministre de la Défense d’Angela Merkel est une battante. Deux ouvrages consacrés à la fille du très conservateur Ernst Albrecht ont paru récemment en Allemagne. Leurs auteurs voient en elle la prochaine chancelière

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Ursula von der Leyen est une battante. Deux ouvrages consacrés à la ministre CDU de la Défense ont paru récemment en Allemagne. Leurs auteurs voient en elle la prochaine chancelière
Une fois de plus, le scandale a frôlé Ursula von der Leyen, la ministre de la Défense d’Angela Merkel. Cette fois, il s’agissait d’un fusil d’assaut, le G36, l’arme de base de quelque 170 000 soldats de la Bundeswehr. Depuis plusieurs années, les troupes se plaignent des ratés de leur équipement. Chauffé par le soleil, un long séjour dans un camion ou un usage prolongé, le G36 n’offre plus qu’une précision de tir de 53%! Plusieurs rapports alarmants n’ont rien changé. «Comme si le fabricant allemand Heckler & Koch jouissait de relations privilégiées avec le service des commandes de l’armée», note le quotidien Tagesspiegel. «Cette arme, telle qu’elle est construite, n’a pas d’avenir au sein de la Bundeswehr», rétorque Ursula von der Leyen. C’est avec la même fermeté qu’elle a déjà traité plusieurs dossiers embarrassants hérités de ses prédécesseurs en dix-huit mois passés à la tête du Ministère de la défense.
Avec Ursula von der Leyen, il ne faut pas se fier aux apparences. Elle semble minuscule et frêle lorsqu’elle passe en revue les troupes de la Bundeswehr. Et pourtant on ne voit qu’elle, tailleur rose pâle, chemisier blanc, pantalon noir, sourire conquérant, tête haute et cette démarche si affirmée (sur la photo lors d’une visite en Afghanistan). Ursula von der Leyen, 56 ans, 1,60 mètres, sept enfants, médecin de formation et entrée en politique sur le tard, est la première femme à la tête des armées allemandes. Au Ministère de la défense, comme à tous les postes qu’elle a occupés jusqu’à présent, elle étonne par sa détermination et son incomparable capacité à attirer l’attention, un atout en politique. Deux ouvrages sont récemment parus à son sujet: l’un des journalistes du magazine Die Zeit Peter Dausend et Elisabeth Niejahr*, l’autre de leurs confrères du magazine Focus Ulrike Demmer et Daniel Goffart**.
C’est par filiation qu’Ursula von der Leyen est entrée en politique. Röschen (la petite Rose, le surnom que lui donnait son père) est le troisième enfant et la seule fille du très conservateur Ernst Albrecht, inamovible et puissant ministre-président du Land de Basse-Saxe de 1976 à 1990. Les attentats de la Fraction armée rouge, la Bande à Baader, dominent alors le paysage politique allemand. Ernst Albrecht est sur la liste des ennemis de la RAF, et Röschen doit même partir étudier à l’étranger, sous une fausse identité.
«Elle m’a dit que cette menace l’a rendue apolitique, explique Elisabeth Niejahr. Pour elle, la politique était quelque chose de menaçant. C’est délibérément qu’elle s’est lancée dans des études non politiques et s’est tenue à distance de toutes les activités politiques étudiantes. Ce n’est que lorsque son père a été battu, en 1990, qu’elle entre dans la CDU [Union chrétienne-démocrate]. Plus pour faire preuve de loyauté que par conviction politique.» La défaite d’Ernst Albrecht face au social-démocrate Gerhard Schröder à la tête de la Basse-Saxe, traditionnellement conservatrice, est cuisante. «Nous les enfants nous nous sommes dit: quelle cochonnerie! Et nous sommes tous entrés à la CDU», expliquera plus tard sa fille.
Diplômée en économie, puis en médecine, elle se consacre dans un premier temps à l’éducation de ses sept enfants et suit son mari en Californie, dans la plus pure tradition de la femme au foyer. Le Vert Jürgen Trittin, qui l’a connue un peu plus jeune à l’Université de Göttingen, se souvient d’une fille en vêtements informes, vaguement hippie, hésitant entre archéologie et économie, et n’aimant guère se lever le matin. La carrière d’Ursula von der Leyen débute véritablement en 2001, avec un putsch contre un député CDU dont elle arrache le siège au parlement régional de Basse-Saxe au nom de l’égalité des chances. Elle devient ensuite ministre de la Famille du Land en 2003, membre de la direction de la CDU en 2004, ministre de la Famille d’Angela Merkel en 2005 et ministre du Travail et des Affaires sociales en 2009.
«Elle a déboulé comme une avalanche», explique Regina Runge-Beneke, adjointe sociale-démocrate au maire de Sehnde, une commune de 3000 habitants où Ursula von der Leyen a fait ses débuts. «Nous n’avions jamais vu un tel déploiement d’affiches électorales.» Aujourd’hui encore, ses détracteurs sont convaincus qu’Ursula von der Leyen doit son décollage en politique à la fortune familiale et aux relations paternelles. Mais pas seulement. Seule fille au sein d’une fratrie de sept enfants, Röschen sait s’imposer et prendre des risques. «Elle a risqué sa carrière pour les quotas féminins à la tête des entreprises, rappelle Peter Dausend. Elle est quelqu’un qui veut faire avancer les choses.» Au Ministère du travail, elle s’est prononcée pour les quotas féminins et le salaire minimum, malgré les réticences de la chancelière. «Elle étouffe, de par son exemple, toute velléité de domination, qu’on retrouve notamment chez les hommes âgés», constatent Ulrike Demmer et Daniel Goffart.
«Le «système» von der Leyen a beaucoup à voir avec sa biographie», soulignent Peter Dausend et Elisabeth Niejahr. Elle qui a passé des années à l’étranger est favorable aux Etats-Unis d’Europe et à l’engagement de la Bundeswehr à l’étranger. Mère de famille et ministre, elle milite pour la conciliation des vies privée et professionnelle et pour la parité, qu’elle soit au Ministère de la famille, du travail ou de la défense. Les thèmes ont de quoi irriter l’électorat le plus conservateur de la CDU. Elle est «hors norme», écrivent Peter Dausend et Elisabeth Niejahr dans leur ouvrage: «Elle est progressive dans son action, conservatrice dans sa vie privée, toujours dans l’offensive, toujours pragmatique, jamais idéologique. Et glamour dans sa façon de se présenter.»
Non conventionnelle, «elle a sans doute plus d’ennemis au sein de son propre parti que dans l’opposition», ajoute Jürgen Trittin. D’autant que la politique de parti l’ennuie. Lors des élections au sein du bureau de la CDU, elle réalise de plutôt piètres scores alors que sa cote de popularité auprès de l’opinion est toujours au beau fixe. «Pour une politicienne de la CDU, elle est très sociale-démocrate. Dans son discours, les mots de droite et de gauche n’apparaissent jamais, constate Elisabeth Niejahr. Et elle ne parle jamais non plus d’adversaires.» «Si le SPD n’a réalisé que 25% aux dernières élections législatives, c’est en partie grâce à elle», ajoute Peter Dausend.
Ulrike Demmer et Daniel Goffart la voient déjà en future chancelière. «Elle exercerait le pouvoir différemment d’Angela Merkel, estiment-ils. Au lieu de guider de l’arrière, elle prendrait plus les devants pour donner le sens de la direction à suivre. Et elle ferait preuve de plus de charisme, en étant moins terre à terre que la chancelière.»
* Operation Röschen. Das System von der Leyen (Opération petite Rose. Le système von der Leyen) de Peter Dausend et Elisabeth Niejahr, Campus Verlag. ** Kanzlerin der Reserve. Der Aufstieg der Ursula von der Leyen (Chancelière en réserve. L’ascension d’Ursula von der Leyen) d’Ulrike Demmer et Daniel Goffart, Berlin Verlag.
«Elle est toujours dans l’offensive, toujours pragmatique, jamais idéologique. Et glamour dans sa façon de se présenter»