Le beau projet des Vingt-Sept d’acheter des vaccins en commun est-il en train de prendre l’eau? Depuis qu’AstraZeneca a annoncé des baisses drastiques de vaccins (40 millions de doses contre 80 millions attendues d’ici à mars), les questions fusent sur le choix fait à la mi-2020 de «communautariser» ces commandes. Le pilotage personnel de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est aussi contesté.

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En Allemagne, c’est le ministre de l’Economie, Olaf Scholz, et le ministre-président de Bavière, Markus Söder, qui accusent la Commission d’avoir signé beaucoup trop tard ces contrats et d’être à l’origine de la pénurie. L’ancienne ministre de la Défense a aussi dérouté tout son monde vendredi, lorsque son institution a envisagé pendant quelques heures d’activer une clause d’urgence pour contrôler l’exportation de vaccins entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.

Une vraie bourde. L’épisode a sidéré les commissaires, les diplomates des Etats membres et les groupes du Parlement européen qui devaient d’ailleurs recevoir la présidente mardi soir en privé. Ils veulent comprendre: la Commission a-t-elle bien négocié les contrats avec les laboratoires? Exerce-t-elle une pression suffisante pour recevoir les doses? A-t-elle pris un retard dommageable sur les Etats-Unis et le Royaume-Uni en mégotant sur le prix des vaccins, la dose de l’AstraZeneca coûtant 1,78 euro aux Européens contre 2,50 en moyenne?

Pour la patronne de la Commission, la stratégie choisie est «la bonne», a-t-elle déclaré lundi. Les Vingt-Sept sont certes partis plus tard mais pour de bonnes raisons. Ne fallait-il pas s’assurer que les vaccins étaient sûrs plutôt que de les autoriser en urgence en ignorant leurs effets réels?

Des retards structurels?

Pour Sophie in’t Veld, eurodéputée néerlandaise libérale, toutes ces questions essentielles mériteraient un débat public. Les Européens ont «besoin de transparence», assure-t-elle, d’autant que cet épisode «met à mal leur confiance dans l’Union européenne (UE)» et que les contrats ne sont pas connus. La députée critique le goût du secret de l’Allemande et son refus d’assumer ses erreurs. Mais elle ne veut pas encore conclure au fiasco. Avec la logistique qui doit suivre (2,3 milliards de doses commandées à six fabricants pour 2021), il n’est pas «étonnant qu’il y ait quelques retards».

Et si Boris Johnson parade en faisant des vaccins et du Brexit une success story, «on ne doit pas oublier que l’AstraZeneca ne convainc pas pour les plus de 65 ans». La «situation est pénible, c’est clair, mais elle aurait été pire sans les achats groupés», ajoute la libérale.

Si la question traverse forcément l’esprit de certains gouvernements, beaucoup se résignent à l’idée qu’il aurait été difficile d’avoir un bloc où quatre cinquièmes des Etats membres ont une parfaite couverture et le reste de l’UE se retrouve en rade. Le cœur même de l’UE, la solidarité, en aurait pris un coup.

«Avoir une stratégie européenne d’approvisionnement en vaccins faisait sens. Des négociations bilatérales dans l’urgence auraient accouché d’un chaos juridique et commercial» et le «chacun pour soi» aurait été «suicidaire pour les petits Etats membres», juge l’avocat spécialisé Jean Russotto.

C’est pourtant une alliance de quatre pays qui avait pris les devants au printemps dernier: la France, l’Allemagne, puis les Pays-Bas et l’Italie avaient déjà mis une option sur 300 millions de doses AstraZeneca. Une démarche que le reste du bloc, notamment à l’est, n’a pas vu d’un bon œil, inquiet de ne rien avoir. L’alliance a donc été élargie et c’est à ce moment qu’a été confiée à la Commission la mission de «communautariser» les achats en diversifiant les laboratoires.

Mais une machine à 27 fonctionne plus lentement. Alors que des pays comme l’Allemagne ne voulaient pas regarder à la dépense pour Pfizer associée à son champion BioNTech, des pays, moins riches ou plus économes, ont voulu miser sur l’AstraZeneca, meilleur marché et plus facile d’utilisation. Les Européens ont aussi fait le choix de négocier une responsabilité juridique des laboratoires en cas d’effets secondaires. Il a donc fallu discuter de tout cela. Et, au final, l’UE a accusé trois mois de retard sur Londres et Washington avec AstraZeneca et presque quatre mois avec Pfizer/BioNTech.

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La Commission n’est pas passée non plus par des procédures d’autorisation d’urgence avec l’Agence européenne des médicaments. «On est dans une phase compliquée en ce moment mais la Direction générale de la santé n‘a jamais été mandatée par le passé pour négocier avec les Big Pharma», rappelle un diplomate. «Pour la Commission aussi, des contrats d’une telle ampleur, c’est du jamais vu», ajoute Jean Russotto.

La Commission a-t-elle d’autres moyens d’action? Alors que Charles Michel, le président du Conseil, a suggéré de se procurer les brevets des entreprises pour produire massivement, elle lui a préféré le contrôle des exportations de vaccins, envoyant un message nationaliste, elle qui avait toujours promis l’accès universel au vaccin. Le fiasco d’image est ici incontestable.

Collaboration: Richard Werly