«Vade retro crucifix»
revue de presse
Pas de crucifix dans les écoles! Le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur d’une citoyenne italienne qui défendait le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions et le droit des élèves à la liberté de religion suscite un tollé
Le débat sur la présence de crucifix dans les salles de classe a été relancé dans certains pays européens après la condamnation de l’Italie par la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a jugé cette présence contraire au droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions et au droit des élèves à la liberté de religion.
Le Vatican, les Eglises polonaise et portugaise, notamment, critiquent vivement le jugement. Et en Espagne, un groupe laïque demande au gouvernement de s’inspirer de la décision de Strasbourg pour exiger le retrait immédiat des symboles religieux des établissements publics. Il Sole 24 Ore, cité par le quotidien catholique français La Croix, prend position: «Si on lit avec attention la décision, […] cela pousse à réfléchir sur le fait que la tolérance si chère au siècle des Lumières soit pétrifiée au XXIe siècle.» «C’est une sentence idéologique complètement myope», s’indigne le Vatican, tandis que Pierluigi Bersani, nouveau leader du Parti démocrate, parle de «problèmes qui peuvent être résolus plus avec le bon sens qu’avec des sentences», relève Le Nouvel Observateur.
Ce verdict «a réalisé un petit miracle: celui de créer une quasi-unité nationale pour la défense du symbole du christianisme», écrit le Corriere della sera, ajoutant que les politiques qui ont critiqué le jugement ont «une approche marquée par une sensibilité dont les racines vont au-delà des appartenances politiques et même religieuses» et qu’un effet pervers «pourrait être celui d’alimenter les courants les plus intégristes» de l’Eglise catholique. Le quotidien estime cette «chasse au symbole» aussi détestable que l’interdiction du port du voile dans les écoles françaises.
La Stampa pense pour sa part que «si une religion est forte, si elle croit en sa capacité de susciter la foi, alors elle n’a pas besoin d’une protection spéciale». Le quotidien du groupe Fiat écrit qu’«aucune loi de la République italienne n’impose le crucifix dans les écoles», soulignant que sa présence est un héritage de la période fasciste, qu’elle «a survécu à son écroulement» et qu’elle est «symptomatique de la complaisance de l’Etat à l’égard de l’Eglise». Car certains responsables de la droite italienne suggèrent d’insérer les racines chrétiennes de l’Italie dans la Constitution… Mais Strasbourg libère le pays «d’une équivoque qui dure depuis plus de septante ans, en mettant noir sur blanc une liste d’évidences: le crucifix est un symbole religieux et non politique ou sportif; il identifie une religion précise, donc l’exposer dans les écoles fait violence aux fidèles de religions différentes ou aux athées.»
La colère est d’ailleurs vive chez les catholiques, constate le site Presseurop. Le Vatican critique fermement ce jugement «de courte vue», rapporte La Repubblica. Le gouvernement de Silvio Berlusconi fera d’ailleurs appel. C’est «une de ces décisions qui nous font douter du bon sens de l’Europe», a déclaré le Cavaliere au cours d’une émission de la RAI: «Nous sommes un pays où nous ne pouvons pas ne pas nous dire chrétiens», dit-il, en citant l’exemple des «351 églises touchées par le séisme» à L’Aquila, où «il suffit de faire 200 mètres pour se trouver face à un signe de chrétienté».
L’Osservatore romano cite pour sa part l’écrivaine Natalia Ginzburg, relevant qu’elle écrivait en 1988 dans L’Unità, organe du Parti communiste italien: «Le crucifix ne génère aucune discrimination. Il est muet. Il est l’image de la révolution chrétienne qui a répandu dans le monde l’idée de l’égalité entre les hommes, jusqu’alors absente.» Ces paroles, «à 20 ans de distance, expriment un sentiment encore largement partagé en Italie», affirme le quotidien du Vatican, pour lequel la Cour, «avec l’intention de vouloir défendre les droits de l’homme, finit par mettre en discussion les racines sur lesquelles ces droits sont fondés». Elle «ne nous laisse que les citrouilles» de Halloween, déplore le numéro deux du Saint-Siège, Tarcisio Bertone. Le quotidien de la Conférence épiscopale italienne, Avvenire, consacre aussi un vaste espace à cette «décision déconcertante».
En Autriche, Die Presse, traduite par Eurotopics, conteste également le verdict: «La laïcité en tant que religion d’Etat est peut-être la vision qu’ont les juges […]. Mais c’est un concept stérile duquel rien ne peut sortir si ce n’est un vide dans lequel s’engouffreront d’autres courants de croyance plus puissants. Il en sera alors […] fini de notre concept de droits de l’homme – qui est du reste un rejeton du christianisme.»
Les réactions sont également fortes de la part de l’Eglise polonaise: «Une nouvelle tentative d’arracher Dieu du cœur des gens», commente l’archevêque de Gdansk, cité mercredi par le quotidien ultracatholique Nasz Dziennik. Lequel regrette que l’Europe défende «un système de valeurs qui rejette la prédominance chrétienne» sur le continent. Débat au Portugal, aussi: le crucifix, «pour les catholiques, c’est un symbole religieux mais pour les autres c’est une icône anti-violence», plaide le porte-parole de la conférence épiscopale dans le Diário de notícias.