Peu de procédés médicaux s’avèrent aussi sûrs et efficaces que la vaccination. Et pourtant, bon nombre de gens continuent à s’en méfier

Interview de Philippe Duclos, conseiller principal au Département vaccination, vaccins et produits biologiques de l’Organisation mondiale de la santé

«Hésitation face à la vaccination», «réticence vaccinale»: des noms divers sont employés pour désigner les atermoiements d’un grand nombre de personnes face à un vaccin à la fois conseillé et disponible. Un phénomène déroutant, puisque peu de procédés médicaux s’avèrent aussi sûrs et efficaces. Mais un phénomène persistant, à l’œuvre dans le monde entier, raison pour laquelle il fait l’objet, ce mois, d’un numéro spécial de la revue Vaccine. Conseiller principal au Département vaccination, vaccins et produits biologiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Philippe Duclos avance des explications et décrit des parades.

Le Temps: Quelle ampleur a le problème?

Philippe Duclos: Les études manquent pour le chiffrer de manière précise, d’autant qu’il varie d’un pays à l’autre et, au sein de chacun d’entre eux, d’une région ou d’une population à l’autre. Mais le fait est que la couverture vaccinale stagne mondialement à hauteur de 86%, si l’on prend pour indicateur le vaccin classique contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche. Or, l’objectif fixé au début du siècle était d’atteindre 90% en 2015. Cette différence s’explique en bonne partie par la réticence vaccinale, qui n’est pas forcément une opposition de principe mais qui empêche, ou retarde, la vaccination.

Il s’agit d’un vieux problème…

– Ces réticences sont aussi anciennes que la vaccination elle-même. Lors de son introduction il y a deux siècles par le médecin anglais Edward Jenner, le vaccin contre la variole a été présenté par des caricaturistes comme une invention monstrueuse. Ce qui est inédit, c’est que l’accès aux populations est aujourd’hui à peu près garanti et que les réticences vaccinales deviennent le nouveau défi à relever.

Où cette méfiance est-elle la plus forte?

– Elle existe dans le monde entier et dans toutes les couches de population. La recherche de causes dominantes n’a rien donné jusqu’ici. Un haut niveau d’éducation, par exemple, peut avoir des effets contradictoires. Il peut favoriser l’acceptation de la vaccination à un endroit et la défavoriser ailleurs. Seule exception peut-être: les gens éduqués des pays en développement semblent montrer moins de réticences que leurs pairs des pays riches, sans doute parce qu’ils ont davantage sous les yeux les dégâts produits par certaines maladies graves évitables par la vaccination.

Quels effets ont ces réticences?

– Elles en ont évidemment pour les individus qui s’exposent à des maladies dont ils pourraient facilement se prémunir. Mais elles en présentent aussi pour les collectivités, puisque les personnes non vaccinées sont susceptibles d’en contaminer d’autres. Il est établi par ailleurs qu’à partir d’un certain taux de vaccination, variable selon les maladies, les virus se retrouvent dans l’incapacité de prospérer. Refuser la vaccination revient donc à leur laisser cette chance.

Comment expliquez-vous le phénomène?

– Les mots clés sont la commodité, la complaisance et la confiance. La commodité, ou la facilité d’accès, est un facteur évidemment déterminant. Dans de nombreuses situations, le vaccin est disponible… mais au prix d’un gros effort. En France, par exemple, la personne intéressée doit suivre un véritable parcours du combattant: il doit consulter un médecin, puis se rendre dans une pharmacie pour se procurer le produit et enfin retourner chez son praticien pour se le faire inoculer. En Afrique, la même démarche demande souvent de marcher longuement sous le soleil, avant de patienter des heures dans une file d’attente. Lorsqu’une deuxième injection est nécessaire une semaine plus tard, il n’est pas étonnant de constater que de nombreuses personnes préfèrent s’en passer.

Deuxième mot clé, la complaisance…

– Oui, c’est l’attitude facile qui consiste à estimer que la maladie menace les autres mais pas vous. Et que donc vous n’avez pas à prendre les devants.

Et puis, disiez-vous, il y a la confiance.

– C’est là, effectivement, un facteur essentiel. Accepter la vaccination suppose d’éprouver un minimum de confiance envers le personnel soignant, envers le système de santé, envers les autorités, envers le vaccin. A défaut, il peut paraître préférable de s’abstenir.

Qu’est-ce qui détermine la confiance?

– Il existe là aussi diverses raisons possibles. Les premières ont trait au contexte, soit à l’influence des lobbys, des leaders d’opinion, des médias, des croyances en vogue – des croyances religieuses, notamment, dans les pays en voie de développement. Lorsqu’un sexe est culturellement plus valorisé qu’un autre, il arrive que ses représentants soient les seuls vaccinés ou, à l’inverse, les seuls exemptés, selon le degré de confiance existant dans le procédé. S’ajoutent à cela les trajectoires personnelles. A savoir des vécus divers, qui peuvent avoir été marqués par la fréquentation d’une maladie ou l’expérience d’effets secondaires d’un vaccin. Sans oublier des goûts plus ou moins prononcés pour certains types de médecine, naturelle ou pas, et, de manière plus centrale encore, pour la prévention

C’est là le principal obstacle à l’acceptation des vaccins, non?

– Lorsqu’ils sont malades, les gens ne se montrent guère critiques à l’égard des médicaments qu’ils consomment. Mais quand ils sont bien portants, il en va tout autrement. La moindre fièvre, la moindre douleur consécutive à l’injection d’un vaccin est mal perçue. Il arrive souvent que les deux événements soient mis en relation sans qu’ils aient objectivement le moindre lien. Lorsqu’une large population est vaccinée, il est évident que certains de ses membres développeront des pathologies les heures ou les jours suivants. C’est statistique. Cela n’a pas forcément à voir avec le traitement qu’ils viennent de recevoir.

Le corps médical porte-t-il une part de responsabilité dans l’affaire?

– Sans doute dans certains cas. Errare humanum est. Nous avons tous subi des erreurs médicales. Il y a deux façons de les interpréter cependant. Soit vous vous dites qu’elles sont dues à des individus, soit vous généralisez.

Que pensez-vous des réticences vaccinales existant au sein même du personnel de santé?

– C’est un problème très important. Au point qu’il est question d’obliger les membres du personnel médical de se vacciner. Pas seulement pour les protéger eux-mêmes mais aussi pour s’assurer qu’ils pourront continuer à soigner la population en cas d’épidémie et qu’ils ne risqueront pas de devenir eux-mêmes contagieux.

Quelles mesures sont-elles envisagées pour relever ce défi?

– Il n’existe pas de mesure miracle. Le problème est chaque fois étroitement lié à des conditions spécifiques, qu’il s’agit de décrypter. Les réticences de certains Roms de Bulgarie ont par exemple été mises un peu trop rapidement sur le compte de leur ignorance. Une enquête a montré qu’elles étaient liées en réalité au mauvais accueil qui leur était réservé. Sans entrer dans leur réalité, aucune stratégie efficace n’aurait pu être esquissée. Il se prépare par ailleurs des directives visant à réduire la douleur de l’injection. Un résultat qui peut être obtenu en proposant l’allaitement des nouveau-nés au moment de la vaccination ou, quand plusieurs piqûres doivent être réalisées, en allant de la moins à la plus douloureuse. Et puis, il faudrait ménager une place plus importante à la vaccination dans la formation du corps médical. Le domaine est complexe. Et il évolue constamment.

«Il n’existe pas de recette miracle: le problème est chaque fois spécifique»

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