Avec 40 millions d’adhérents dans 162 pays, le scoutisme est le plus important mouvement de jeunesse au monde. Né en 1907 de l’inspiration d’un haut gradé de l’armée impériale britannique, Robert Baden-Powell, le scoutisme a longtemps été associé à ses origines chrétiennes et militaires. Cela ne l’a pas empêché d’évoluer, au point que c’est désormais en Asie qu’il est le plus populaire.

Depuis 1968, le Bureau mondial du scoutisme est installé à Genève. Il est dirigé depuis quatre ans par le New-Yorkais Peter Illig, un juriste venu s’établir en Suisse il y a dix ans. Le secrétaire général du mouvement, Scott Teare, réside pour sa part à Kuala Lumpur. Employé à plein-temps, Peter Illig anime une petite structure au cœur du quartier de Plainpalais avec un budget annuel de moins de 3 millions de francs pour l’ensemble des bureaux régionaux. Le comité mondial est composé de 12 personnes, toutes engagées sur la base du volontariat, le principe du mouvement.

Le Temps: Que signifie être scout en 2015?

Peter Illig: Le scoutisme prône l’éducation informelle, l’apprentissage par la pratique. Notre salle de classe est la nature, le camping. Les jeunes entrent dans le mouvement sur conseil de leurs parents, d’un copain ou par ouï-dire. Vous faites partie du plus grand mouvement de jeunesse: 500 millions de personnes, un douzième de la population mondiale, font ou ont fait du scoutisme! Ban Ki-moon, Michael Bloomberg, Bill Gates, Paul McCartney, Keith Richards, le roi de Suède, Neil Armstrong, le premier homme sur la Lune, tous ont été scouts!

N’est-ce pas ringard? Comment encore attirer les jeunes?

Nous sommes en concurrence avec le sport, toute forme d’activités extrascolaires, les jeux vidéo… Et pourtant, il y a environ un million de groupes locaux. Dix, vingt ou trente jeunes se réunissent pour des activités communautaires, des jeux, etc. et tous les deux mois, ils passent un week-end à faire du camping, de la marche. C’est accessible à tous, aux pauvres, aux citadins.

Comment se fait-il que le bureau mondial soit à Genève?

C’est le centre mondial de l’humanitaire, des droits de l’homme. C’est un concentré de valeurs qui définissent l’agenda mondial. Il est donc normal que nous soyons ici. Si on veut investir sur le long terme, on doit viser la jeunesse et un système de valeurs partagées. Les scouts ont une chose en commun. Tous ont fait cette promesse: «Faire mon devoir envers Dieu, envers moi-même et envers les autres.» C’est universel. Il y a des scouts chrétiens, musulmans, hébraïques, indous, taoïstes, bouddhistes… Baden-Powell a vécu dans divers endroits du monde dans des contextes culturels et confessionnels divers. C’était un militaire, soucieux de la dimension spirituelle, mais il était très clair: c’est à la famille de l’enfant de choisir sa spiritualité.

Quels contacts avez-vous avec les organisations internationales?

Nous avons un statut d’observateur à l’ONU et de nombreux partenariats avec les organisations internationales. Nous visons 100 millions de membres en 2023 avec trois priorités: sensibiliser au climat, promouvoir l’emploi des jeunes et l’éducation informelle. La protection de l’enfance est aussi une priorité.

En ces temps de tensions religieuses, est-ce que cela devient plus compliqué à faire comprendre?

Il y a un lien historique entre scoutisme et chrétienté. Mais je viens du scoutisme américain avec 50 systèmes de croyance. Il y a des troupes de scouts propres à certaines Eglises et des troupes propres à un voisinage. Nous avons un bureau mondial à Genève et des bureaux régionaux (Kiev, Le Caire, Nairobi, Panama et Manille). Mais nos activités reflètent la culture locale.

Vous vous faites le porte-voix du multiculturalisme. N’est-ce pas un message de plus en plus contesté?

Ces questions interreligieuses sont sensibles dans le monde actuel, mais on veut promouvoir le dialogue. Cet été, nous aurons notre réunion mondiale, un jamboree, au Japon. C’est tous les quatre ans. Des milliers de scouts du monde entier viendront avec leurs drapeaux. Il est question d’apprentissage et de partage. Nous sommes dans l’inter-culturalisme, l’inter-religieux et l’inter-genre. Ils ont tous un couteau. Mais c’est la réunion la plus pacifique qui soit et au bout de dix jours, ils rentreront chez eux et resteront amis pour la vie.

Vous faites partie du plus grand mouvement de jeunesse: 500 millions de personnes font ou ont fait du scoutisme!

L’an dernier, le bureau mondial s’est divisé avec l’ouverture d’un second siège à Kuala Lumpur. Pourquoi?

Pour être là où le scoutisme se développe le plus rapidement. C’est-à-dire l’Asie, l’Inde, la Thaïlande, les Philippines. Et nous ne sommes pas encore en Chine! Le pays qui compte le plus de scouts est l’Indonésie. En Europe, les effectifs sont stables.

Comment se fait-il qu’un pays musulman soit devenu la Mecque du scoutisme?

Historiquement, le scoutisme est organisé strictement sur le volontariat et une base individuelle. Puis des gouvernements ont vu le scoutisme comme contribution positive pour la jeunesse. En Indonésie, cela fait partie du curriculum scolaire, les étudiants peuvent y participer.

Il y a eu une crise au sein du mouvement en 2007 entre Européens et Asiatiques.

Le scoutisme a démarré en Europe. Cela ne l’a pas empêché d’évoluer. La croissance en Asie nécessitait un meilleur équilibre dans la représentation, plus de voix, plus de respect, plus de diversité. Il y a des différences de culture, de langage. Quand on parle des valeurs universelles du scoutisme, on nous dit parfois que les droits de l’homme sont une invention occidentale… On doit l’entendre. Cela fait partie de ce savoir-faire, l’écoute, le dialogue, suspendre son jugement.

Vous êtres en première ligne du choc des valeurs. C’est un défi?

C’est une chance. Le système de valeurs des scouts peut transcender ces conflits, ces chocs civilisationnels. Le scoutisme peut de façon très fluide évoluer au sein de la jeunesse globale hors des religions, des idéologies, des croyances. Notre mission est importante, nous pouvons faire la différence. Ban Ki-moon [ndlr: le secrétaire général de l’ONU] en est conscient. Il nous a demandé de promouvoir les femmes, de nous soucier de l’environnement, du développement durable, de l’égalité, du respect.

Une enquête aux Etats-Unis a mis au jour une soixantaine de cas de pédophilie. Qu’en est-il ailleurs?

C’est une priorité. Nous avons depuis longtemps un programme «Prévenir le danger». Avant, il s’agissait de sécurité physique. Cela a évolué vers la protection des enfants. Partout où il y a des proies, il y a des prédateurs. Nous devons pouvoir montrer aux parents et aux agences gouvernementales de la protection de l’enfance que nous faisons ce qui doit être fait. Au Royaume-Uni, au Canada, en Australie, en Irlande, là où il y a eu des cas, nous avons des programmes très forts. Parfois ce sont des cas anciens de personnes affirmant avoir été abusées lorsqu’elles étaient enfants. Il y a des enquêtes.

Les Européens ont-ils fait leur travail?

Je ne sais pas. Cela tient beaucoup au système légal de chaque Etat. Les organisations nationales sont beaucoup plus rapides pour agir. Comme organisation de jeunes nous devons être capables de démontrer avec certitude que nous faisons tout notre possible pour préserver la sécurité des enfants. C’est une question de confiance et d’image publique.

Votre bureau documente-t-il ces cas d’abus sexuels?

Non. On peut offrir des conseils ou une expertise. Mais habituellement, cela se fait de pair à pair. Les pays riches ont des systèmes économiques et légaux plus développés pour le faire.