A l’entrée de Caracas, une gigantesque pancarte surplombe les faubourgs: «Le 6 décembre, c’est Hugo Chavez qui va gagner.» Les élections législatives de dimanche ont pris des allures de présidentielle post mortem. Le charismatique ancien président (1999-2013) reste la référence.

Mais depuis sa disparition, le prix du baril a dégringolé. Sa «révolution bolivarienne» a tourné au désastre économique. Les étalages des magasins sont vides, l’hyper-inflation menace. Le mécontentement s’est installé dans les rangs du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), la formation officielle. Pour la première fois depuis seize ans, tous les sondages donnent l’opposition gagnante en voix. En sièges, les pronostics se font plus prudents. Le découpage des circonscriptions, les indécis et les indépendants pourraient peser dans la balance.

Dix-neuf millions de Vénézuéliens étaient appelés à élire les 167 députés de l’Assemblée mono-camérale. Les chavistes, qui ont emporté 18 des 19 dernières élections, vont-ils perdre la vingtième et leur majorité parlementaire? L’enjeu est de taille. Les deux camps sont mobilisés. Le Grand Pôle patriotique, qui réunit le PSUV et ses alliés, appelle les chavistes à serrer les rangs pour défendre les acquis sociaux de la révolution. La Table de l’unité démocratique (MUD), qui regroupe les formations d’opposition, tente de récupérer les déçus du chavisme.

Jeudi à Caracas, les meetings de clôture de campagne n’ont pas mobilisé les multitudes habituelles. «La vie quotidienne est devenue tellement compliquée que les gens n’ont plus le courage de manifester», explique Alejandra, dentiste, venue soutenir les candidats de la MUD dans l’est de la capitale. Elle fait confiance aux sondages qui prévoient un taux de participation de l’ordre de 80%. «Cette fois-ci, la victoire de l’opposition est imparable», se réjouit-elle. Avant d’admettre, en riant, qu’elle répète cela à chaque scrutin. Depuis dix ans, l’opposition se proclame majoritaire et se dit victime de fraudes au lendemain des résultats.

Quatorze mille bureaux de vote et 40 000 machines à voter ont été installés. Le vote est complètement informatisé. Selon Ignacio Avalos, de l’Observatoire électoral vénézuélien, une organisation d’audit citoyen, «les ingénieurs et les techniciens de tous les partis politiques ont révisé la plateforme informatique. Le vote sur écran et le dépouillement électronique sont très sûrs.» La mission d’accompagnement de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) a confirmé le diagnostic.

«Toutefois, il n’en va pas de même de la campagne électorale qui, elle, a été marquée par d’innombrables irrégularités», poursuit Ignacio Avalos. Inégalités dans l’accès aux médias, utilisation des fonds publics dans la campagne, inaugurations diverses et répartition de réfrigérateurs: les Vénézuéliens parlent de «ventajismo» (favoritisme) pour dénoncer ses pratiques.

Les opposants qui rejoignent Alejandra sur l’avenue Francisco de Miranda se saluent joyeusement d’un «en bas et à gauche!». C’est la place du bandeau de la MUD sur le bulletin de vote. A la télévision, les spots de l’opposition se veulent optimistes. Ils parlent de changement, de lendemains meilleurs et de réconciliation. «L’heure n’est pas à la vengeance mais à l’union et à la reconstruction», explique Henrique Capriles Radonski, ancien candidat présidentiel, aujourd’hui gouverneur de l’Etat de Miranda, qui se positionne au centre gauche. L’aile radicale de la MUD le juge trop conciliant. «Ces divisions au sein de l’opposition sont saines et signe de vitalité démocratique», considère Luis Vicente Leon, de l’institut de sondage Datanalisis. Elles expliquent que la MUD peine à proposer un programme commun de gouvernement.

«Grand coup de balai»

De l’autre côté de la ville, sur l’avenue Libertador, où le gouvernement a monté une gigantesque estrade, le président Nicolas Maduro prononce un long discours, devant une foule habillée en rouge, également joyeuse et convaincue de la victoire. «La droite, qui depuis trois ans mène une guerre économique contre Maduro, est responsable de la crise. Le peuple le sait. Et ne permettra pas que les bourgeois reprennent le pouvoir», explique Sonia Caceres, vendeuse de rue.

Ses cinq enfants font tous des études. «Comment voulez-vous que je lâche la révolution?» interroge-t-elle. Elle admet néanmoins que nombre de ses camarades de parti ont retourné leur veste. «Ils disent qu’ils sont chavistes mais pas maduristes, soupire-t-elle. Et moi je leur demande: pourquoi il est là, Maduro? Parce que Chavez nous a dit de voter pour lui. Ne pas voter dimanche, c’est trahir Chavez.»

Humberto Diaz, technicien informatique, s’apprête à le faire et s’en explique: «Voter aujourd’hui pour le PSUV, c’est comme rester avec une femme qui vous bat. Je ne crois pas que l’opposition fasse mieux ni que ses dirigeants soient moins corrompus. Mais il faut leur donner une chance. Quitte à les virer après.» Amayara, étudiante en économie, va voter PSUV en espérant que les choses bougent après les élections. «Certains de mes camarades pensent qu’il faut radicaliser la révolution. Je dis plutôt qu’il faut un grand coup de balai contre les corrompus et un vrai dialogue avec l’opposition.»

Un tel dialogue est-il possible? Quels sont les scénarios possibles en cas de victoire de l’opposition? Il y a les pessimistes, comme Humberto Diaz, qui craignent «un bain de sang». Et ceux, comme Ignacio Avalos, qui espèrent «que lundi, la politique va enfin reprendre ses droits. Elle suppose de se parler et de négocier «la cohabitation entre l’exécutif et le nouveau pouvoir législatif».

Le président Maduro a soufflé le chaud, appelant de ses vœux une victoire «coûte que coûte», menaçant de descendre dans la rue pour défendre la révolution et évoquant la possibilité d’un gouvernement «civico-militaire». Mais il souffle aussi le froid, avec des appels au calme et à la paix civile. Le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino Lopez, a fait de même jeudi soir, en rappelant que l’Etat et les forces armées ont pour mission d’assurer «l’exercice démocratique de la volonté populaire».