La vengeance de Dominic Cummings, l'âme damnée de Boris Johnson
Royaume-Uni
L’ancien conseiller du premier ministre britannique décrit un Boris Johnson débordé et chaotique face à la pandémie

La vengeance a pris ce mercredi la forme d’un petit homme presque chauve aux grandes oreilles et en bras de chemise. Dominic Cummings, l’ancien conseiller de Boris Johnson, est très longtemps apparu devant une audition conjointe des comités parlementaires sur la science et la technologie et sur la santé pour disséquer les erreurs commises lors de la pandémie. Pendant cette cession marathon de plus de sept heures, l’ancienne âme damnée du premier ministre britannique, mis à la porte en novembre, n’a pas retenu ses coups, expliquant l’impréparation générale, les dysfonctionnements internes et le chaos permanent autour de Boris Johnson.
Les propos de Dominic Cummings sont à prendre avec des pincettes. L’homme est connu pour ses colères froides et ses coups tordus. Il a cependant offert un décryptage passionnant et rare du fonctionnement de la machine gouvernementale britannique. Voilà le plus proche conseiller du premier ministre, qui était assis physiquement juste à l’entrée de son bureau, qui raconte en détail la façon dont la vague pandémique a pris tout le monde par surprise.
«Les gens comme moi et à la tête du gouvernement ont échoué»
Il commence par reconnaître l’évidence. «Les gens comme moi et à la tête du gouvernement ont échoué. Je veux dire aux familles des personnes qui sont décédées à quel point je suis désolé.» Le Royaume-Uni compte 128 000 morts. Rapporté à la population, c’est 50% de plus qu’en Suisse.
Pourquoi un tel fiasco? Dominic Cummings raconte des autorités qui n’étaient absolument pas prêtes. Aucun sérieux plan pandémie n’était en place, il n’y avait pas de stocks de masques ni suffisamment de lits dans les hôpitaux. Mais surtout, la menace n’a pas été prise au sérieux. Lui-même, qui se donne le bon rôle, estime n’y avoir consacré l’essentiel de son temps qu’à partir de fin février 2020. «En janvier, en février et début mars, le premier ministre considérait ça comme une histoire à faire peur, la comparant à la grippe aviaire. Il craignait une surréaction, qui causerait plus de mal que de bien en étouffant l’économie.»
Début mars, cet état d’esprit domine encore dans l’ensemble de la haute fonction publique britannique. «Littéralement, je montrais les télévisions (accrochées aux murs de Downing Street) où on voyait les images des hôpitaux débordés en Lombardie (pour expliquer que le problème était grave)», explique Dominic Cummings.
La journée du 12 mars donne un aperçu du chaos à Downing Street. Dominic Cummings envoie un message téléphonique au premier ministre à 7h48: «Nous avons un gros problème. Le gouvernement est nul. […] On doit accélérer. […] Les prévisions parlent de 100 000 à 500 000 morts selon les scénarios.» Mais voilà que Donald Trump contacte Boris Johnson avec un projet de bombardement au Moyen-Orient. En même temps, la petite amie de Boris Johnson, Carrie Symonds, est furieuse d’un article la concernant à propos du chien de Downing Street. «Elle était complètement remontée.» Ce n’est que le soir qu’une réunion sur le Covid-19 peut enfin être organisée, sans le premier ministre. Atteindre l’immunité de masse est alors la stratégie du gouvernement. Le premier haut fonctionnaire, Mark Sedwill, «discute d’organiser l’équivalent de «soirées varicelle», où les gens se contamineraient volontairement afin d’accélérer la transmission du virus», explique l’ancien conseiller. Pour enterrer cette idée, il faudra qu’un scientifique présent à la réunion souligne que le Covid-19 se transmet de façon exponentielle et fait des milliers de morts.
Hésitations fatales
Deux jours plus tard, le samedi matin, Dominic Cummings présente enfin un «plan B» à Boris Johnson: mettre en place un confinement. «Pendant plusieurs jours, le premier ministre a continué à hésiter, estimant qu’on ne savait pas à quel point le virus était dangereux.» La fermeture du pays ne sera annoncée que le 23 juin. Selon Neil Ferguson, épidémiologiste à Imperial College, la même décision une semaine plus tôt aurait réduit de moitié la mortalité de la première vague, qui a fait 50 000 morts.
Sur l’absence de tests, les frontières qui sont restées ouvertes et les hésitations à imposer un deuxième confinement en novembre, Dominic Cummings multiplie les révélations. Mais il apporte aussi cette anecdote, très révélatrice. En juillet, il a menacé de démissionner, estimant que Boris Johnson préférait le chaos qui l’entourait plutôt que de lui donner les pouvoirs de mieux contrôler Downing Street. «Le premier ministre a ri et a dit: c’est vrai […], avec le chaos, les gens ont besoin de se tourner vers moi pour savoir qui est le patron.»