Verdict lourd pour des Emiratis
Émirats arabes unis
Soixante-neuf islamistes accusés de complot contre l’Etat ont été condamnés dans des conditions jugées inéquitables par les ONG. Abu Dhabi s’en défend
Sans précédent par son ampleur, le procès qui s’était ouvert le 4 mars dernier à Abu Dhabi (LT du 07.05.2013), la capitale des Emirats arabes unis (EAU), s’est achevé mardi sur un verdict aussi retentissant qu’attendu. Attendu dans la fédération elle-même, où il a connu un écho tel que la télévision d’Etat s’est fendue d’une retransmission en direct de cette ultime audience. Et à l’étranger, où le pays, peu habitué à faire parler de lui autrement que par ses flamboyantes richesses, se voit reprocher depuis des mois les irrégularités qui ont entaché la procédure.
Frères musulmans
Nonante-quatre personnes étaient sur le banc des accusés, pour la plupart affiliés à Al-Islah (la Réforme), une organisation islamiste autrefois tolérée et aujourd’hui taxée de connivences avec les Frères musulmans que les autorités émiraties ont en exécration. Les démêlés de ces activistes avec les forces de sécurité et la justice ont débuté au printemps 2011, lorsque, sur fond de contestation dans le monde arabe, une pétition réclamant un parlement élu par les citoyens s’est mise à circuler dans ce pays qui proscrit les partis politiques.
Accusés notamment de participation à une organisation clandestine ayant eu pour objectif de renverser le gouvernement, 69 inculpés ont écopé de peines allant de 7 à 15 ans de prison, la peine maximale infligée à huit Emiratis «en fuite» à l’étranger. Vingt-cinq prévenus ont été acquittés, dont 12 femmes. Jugés par la Cour suprême fédérale, les condamnés ne pourront pas faire appel. Leurs sanctions s’accompagnent de saisies de comptes et de biens immobiliers et de la fermeture de sites internet. Certaines personnalités en vue, comme l’avocat militant des droits de l’homme Mohamed al-Roken ou le président d’Al-Islah, Sultan Bin Kaid el-Kassimi, un cousin du prince régnant de l’émirat de Ras al-Khaimah, sont envoyés pour dix ans sous les verrous. La veille du verdict, deux proches des accusés auraient par ailleurs été arrêtés.
«Transparence et équité»
Sachant sans doute que le jugement serait scruté de près, le Ministère de la justice a publié hier un communiqué dans lequel il se félicite de la «transparence, équité et indépendance» de la cour amenée à statuer. Cela, précise-t-il, en la présence de plus de 500 observateurs lors des 13 audiences, dont des membres des familles, des représentants des médias nationaux et d’une ONG dûment enregistrée. «Les accusés ont été jugés par un tribunal civil. Dans n’importe quel autre pays arabe, ils l’auraient été devant un tribunal militaire. Ce procès ne se compare pas à celui d’un régime autoritaire», glisse une source proche d’Abu Dhabi, en laissant flotter l’éventualité de certaines réductions de peines.
Les ONG internationales qui ont suivi l’affaire, et dont certaines ont dénoncé en juin les mauvais traitements endurés par 22 détenus en amont du procès, formulent un diagnostic diamétralement divergent. «Il est impossible de nous prononcer sur la solidité des preuves avancées, et pour cause, nous n’étions pas présents au procès, ni aucun observateur ou journaliste indépendant. Mais les violations qui l’ont précédé disqualifient son caractère d’équité», relève Nicholas McGeehan, de Human Rights Watch. «Ce verdict confirme la nature politique du procès et l’absence totale d’indépendance. La situation des droits de l’homme dans ce pays, qui ne cesse de se dégrader, reste parmi les plus préoccupantes de la région», estime pour sa part Rachid Mesli, responsable juridique de l’ONG genevoise Alkarama, qui a suivi le procès.
Ahmed al-Shaiba est l’une des huit personnes jugées par contumace. Membre d’Al-Islah, ce conseiller en éducation vit en Grande-Bretagne où il était venu il y a un an parachever ses études. Resté aux EAU, son frère a été condamné hier à 10 ans de prison. Lui-même encaisse avec désillusion sa propre peine de 15 ans. «Qu’attendre d’un régime dirigé par son département de sécurité et opposé à la démocratie? Pensez-vous que nous aurions signé une pétition si nous avions voulu renverser le gouvernement?» interroge-t-il. Un jour, promet-il, il remettra le pied sur sol émirati.