Dans les vergers de l’Arghandab arrachés aux talibans
Afghanistan
Au prix de violents combats, le district maraîcher du sud afghan près de Kandahar a été repris par les alliés. A charge pour eux, maintenant, de réparer les dégâts causés par les hostilités
Il s’est accroupi sur le bas-côté, les yeux rivés sur les murets de terre éclatés. Les deux mains tendues vers la patrouille du capitaine Eric Schaffer, Mahmat Worouji répète, le visage couvert par la poussière soulevée par les blindés, l’urgence de réparer les digues.
Enième demande. Enième promesse. Chargé d’escorter deux ingénieurs canadiens spécialistes de l’irrigation, l’officier américain montre, pour convaincre le vieillard, des photos aériennes. Chaque cliché est constellé de marques rouges. Un cercle pour les villages détruits ou touchés par les frappes aériennes. Une croix pour les canaux bouchés par les amas de branches, de terre et de cailloux soulevés par les bulldozers venus, fin octobre, rouvrir les pistes de ce district fraîchement reconquis.
Il y a quelques semaines, pareil échange aurait été impossible. Terre de vergers, oasis maraîchère, le district d’Arghandab dans la province de Kandahar était surtout l’un des principaux bastions insurgés de ce sud pachtoune où les alliés semblaient condamnés à battre en retraite. Les renforts américains, appuyés par de lourds moyens aériens, y ont rompu en septembre-octobre l’isolement des troupes canadiennes déployées ici depuis 2006 mais trop peu nombreuses pour s’imposer.
La «poussée», menée entre autres par des unités chevronnées de la 101st Airborne arrivée d’Irak, a débusqué les talibans «village par village». «On a dû les déloger des fermes, de chaque contrefort de montagnes», confirme le capitaine Schaffer. Ce qui n’a pas été sans casse.
Les chemins traditionnels ceints de murets et propices aux embuscades ont été nivelés à coups de pelleteuses. Les maisons connues pour abriter des familles insurgées portent encore la marque des attaques nocturnes conduites par les forces spéciales et leurs supplétifs des milices pachtounes venues de Spin Boldak, à la frontière pakistanaise. Le paysage bucolique d’Arghandab, poumon vert de la grande ville de Kandahar, a, au fil des hostilités, fait place à un no man’s land poussiéreux hérissé de Combat Outpost (postes avancés) contrôlés, côte à côte par les GI, l’armée et la police afghane.
A l’aéroport de Kandahar, QG du commandement sud de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF) qui regroupe les forces des 48 pays engagés en Afghanistan, les porte-parole militaires s’activent, depuis, à communiquer sur la victoire obtenue dans l’Arghandab. Juste: la vie a bien repris dans les villages. A Terak Kalach-e, un hameau entouré de vergers longtemps délaissés, deux camions bringuebalants s’apprêtent à partir pour Quetta, au Pakistan, remplis de cartons de grenades, les fruits rouges typiques de la région.
Les caisses non chargées s’entassent dans une crevasse causée, deux semaines plus tôt, par un IED (Improvised Explosive Device), ces engins explosifs artisanaux redoutés des alliés. De retour, les familles ayant fui les combats errent dans ce qui reste de leurs plantations: «Le processus n’est pas simple, reconnaît le capitaine Schaffer. Le gouvernement provincial exige des documents pour restituer les terres. Or beaucoup n’en ont pas. Et plus ils attendent, plus leur colère augmente.»
Des hommes sont supposés permettre à la coalition de consolider ses succès militaires. Jalal Ali, un ingénieur canadien d’origine soudanaise, est de ceux-là. Sa mission? Rétablir au plus vite le réseau hydraulique connecté au barrage de Dhala sur la rivière Arghandab. Carnet de notes et GPS à l’appui, Jalal Ali reconstitue, pas à pas, l’offensive américaine. Cette maison? Explosée par un missile tiré d’un drone, un de ces avions sans pilote dont le bourdonnement incessant se fait toujours entendre. Ce pont de fortune? Saboté par les insurgés pour protéger leur retraite.
Résultat: Jalal Ali est l’interlocuteur naturel des Maliks, les chefs de village. Comme Dad Gul, à Terak Kalach-e: «Notre récolte va être cette année bien meilleure, explique celui-ci via l’interprète de l’US Army. Mais à qui profite-t-elle? A ceux qui n’ont pas perdu leurs terres. Et aux propriétaires fonciers des villes qui ont, sitôt les combats terminés, très vite trouvé de la main-d’œuvre pour récolter les fruits à notre place.» Vieux dilemme: la nouvelle supériorité militaire alliée n’a que très partiellement «libéré» les paysans afghans illettrés et souvent exploités de l’Arghandab.
S’ajoutent les interrogations. Vite chassés, les talibans n’ont pas pour autant disparu. Ces derniers jours, une vingtaine d’IED ont encore été trouvés le long des pistes parcourues par les MAVP américains, les successeurs des fameux «Humvee» abandonnés pour cause de blindage trop faible et redonnés à… l’armée afghane. Les assassinats ciblés et le racket attribués aux insurgés prolifèrent aussi à Kandahar, où beaucoup se sont réfugiés. La victoire durement acquise dans l’Arghandab tiendra-t-elle au-delà de l’hiver, moins propice aux combats? «Si les Américains restent et tiennent leurs promesses, oui, juge Mohammed Hussein, un lieutenant afghan posté avec son peloton à l’entrée de Shorkoulba. Sinon…»