Le rôle de la religion, la place de la femme, les pouvoirs du président, autant de points litigieux que les 50 membres de la nouvelle Assemblée constituante égyptienne devront discuter. Ils ont été nommés dimanche par le président Adli Mansour et se préparent à leur première réunion plénière dimanche. Ils auront soixante jours pour amender le projet de Constitution qui sera ensuite soumis au peuple par voie référendaire. Il y a un peu moins d’une année, les Frères musulmans, alors au pouvoir, avaient achoppé sur la Loi fondamentale, faisant passer en force un texte controversé. Les partis libéraux avaient alors dénoncé une islamisation du pays et une dérive totalitaire. L’élaboration d’une nouvelle Constitution a valeur de test pour la nouvelle équipe au pouvoir, qui doit convaincre de son attachement aux valeurs démocratiques.

Après le renversement de Mohamed Morsi, le 3 juillet, l’un des premiers gestes, fort symbolique, du gouvernement ad interim fut d’abolir la Constitution que les Frères musulmans avaient adoptée en décembre 2012: «Non seulement le texte était inacceptable, car il donnait trop de place à l’islam politique, mais surtout il a été imposé sans consultation», explique Mohamed Madkour, proche conseiller d’Amr Moussa, l’ancien chef de la Ligue arabe. En l’absence de parlement, et afin que la nouvelle Assemblée constituante soit représentative de la société égyptienne, Adli Mansour a sollicité les partis politiques, les syndicats, les associations et les communautés religieuses pour qu’ils désignent leurs délégués, 50 en tout.

Dix constitutionnalistes ont préalablement rédigé un projet de texte, celui que l’assemblée a la charge d’amender. Pour Mervat Tellawi, présidente du Conseil national de la femme en Egypte et membre de la nouvelle assemblée, le texte proposé est loin d’être parfait, mais beaucoup mieux que celui de la Constitution de 2012: «Trente-trois articles ont été retirés. Les plus problématiques. Je constate des nets progrès en matière de droits de l’homme. Pour ce qui est des femmes, la référence à la charia demeure mais est atténuée. Nous allons nous battre pour qu’elle soit supprimée de l’article de loi relatif aux femmes, car elle vise à limiter leurs droits.» La tâche sera dure, car elles ne sont que cinq femmes, soit 10%, à peine mieux que les 6% de l’Assemblée constituante de 2012, dominée par les Frères musulmans: «C’est très décevant. Nous demandions à être au moins 20, de manière à refléter le rôle des femmes dans la société égyptienne et celui qu’elles ont joué pour faire tomber le régime de Mohamed Morsi.»

Mervat Tellawi veut convaincre ses collègues masculins: «Beaucoup parmi les 50 de la liste sont convaincus de la nécessité de garantir les droits des femmes. Tous ne sont pas gagnés à la cause féministe, mais je vois beaucoup de démocrates, et même les représentants religieux, ceux d’Al-Azhar et des Eglises, sont des personnes attachées au dialogue.» Une véritable concertation qui dépasse les partis politiques existe désormais, selon Mervat Tellawi, qui espère que cela permettra de respecter le délai de soixante jours: «Nous devons nous tenir à la feuille de route et montrer notre attachement à la démocratie.»

L’ancien ministre du Développement local dans le gouvernement de Mohamed Morsi a dénoncé lundi l’éviction de la confrérie: «Ni les Frères ni le parti politique qui les représente n’ont reçu d’invitation à participer au groupe de travail sur la Constitution.» Mohamed Madkour nuance cette absence: «En fait, deux membres de la commission sont connus pour leurs liens avec la confrérie. Si l’on ajoute les deux délégués des partis islamistes, on peut parler de quatre représentants de l’islam politique. L’Université Al-Azhar, la plus haute instance de l’islam sunnite, envoie une délégation de trois personnes. L’islam est donc bien représenté. On ne peut pas dire de même des coptes ou des femmes. En revanche, et c’est très positif, les régions de Nubie et du Sinaï auront, c’est une première, droit de cité.»

Mohamed Madkour voit deux pierres d’achoppement: les prérogatives présidentielles qui restent trop importantes et la place de l’armée. «Dans le texte actuel, le Conseil suprême des forces armées choisit le ministre de la Défense. Cela devrait changer. Et la Constitution doit mettre des garde-fous pour empêcher que le chef de l’Etat ne devienne pharaon, même malgré lui. En Egypte, la tentation est grande de confier au président toutes les destinées du pays, et ce dernier souvent ne résiste pas à la tentation d’accepter. En outre, il faut qu’un article mentionne clairement la décentralisation nécessaire du pouvoir.» Dimanche, l’assemblée élira son président. Amr Moussa, qui en est membre, est pressenti: «Le seul à avoir l’expérience des institutions internationales et le charisme nécessaires», se réjouit Mervat Tellawi.

«Nous demandions à être au moins 20, de manière à refléter le rôle des femmes dans la société égyptienne.»