Moyen-Orient
Le principal port du Yémen souffre d'une grave insécurité depuis l'intervention d'une coalition arabe menée par l'Arabie saoudite. Al-Qaida et l'Etat islamique en profitent

Qu’il paraît loin déjà le temps où les groupes djihadistes se terraient dans des montagnes perdues pour fomenter de rares attentats contre des objectifs prestigieux! Ces formations multiplient désormais les conquêtes territoriales, y compris celles d’importantes localités.
L’Etat islamique a amorcé le mouvement en s’emparant depuis bientôt deux ans de plusieurs villes d’Irak, de Syrie et de Libye. Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) s’y est mise aussi désormais en investissant au printemps dernier le port de Mukalla, la cinquième ville du Yémen. Elle infiltre aujourd’hui une agglomération beaucoup plus stratégique encore: Aden, l’ancienne capitale du Yémen du Sud, une position-clé sur la route des pétroliers, à mi-chemin entre le golfe Persique et le canal de Suez.
Embuscades, enlèvements et barrages routiers
Il ne se passe plus guère de jours sans qu’une attaque djihadiste ne soit signalée dans la ville. Cinq personnes, dont un officier de police, ont ainsi été tuées dimanche dans une embuscade. La veille, une jeune recrue avait été abattue par des inconnus peu après une distribution de tracts menaçant tous ceux qui s’engageaient dans l’armée gouvernementale. Et les enlèvements de bohras, des adeptes d’une branche du chiisme, se répètent à intervalles réguliers.
Al-Qaida dans la Péninsule arabique a commencé à la fin de l’an dernier de se comporter dans la ville comme en pays conquis. Elle s’est mise à dresser des barrages dans les rues et à planter ses bannières sur des bâtiments officiels comme sur certaines installations portuaires. Les forces gouvernementales ont réagi en procédant à de nombreuses arrestations et en reprenant le port les armes à la main. Mais elles n’ont remporté qu’une victoire partielle: un certain nombre de quartiers continuent à leur échapper.
Basculement en mars 2015
Al-Qaida est présente depuis de longues années dans l’est du Yémen, notamment dans la province de l’Hadramout d’où était originaire son fondateur, Oussama ben Laden. Mais elle y est longtemps restée confinée dans des zones isolées. La situation a basculé en sa faveur en mars 2015 suite à l’intervention d’une large coalition arabe sous commandement saoudien contre les chiites houthistes.
Après avoir conquis Aden, cette force internationale, alliée du président Abd Rabbo Mansour Hadi, a voulu pousser son avantage en poursuivant ses ennemis plus au nord, en direction de Taez et de Marib. Une erreur lourde de conséquences: trop pressée, elle a dégarni le front d’Aden avant de l’avoir véritablement sécurisé. Ce dont les djihadistes ont aussitôt profité.
Des combats ont provoqué un vide du pouvoir, qui a créé un appel d’air. Et le phénomène a permis à chaque fois aux groupes les plus radicaux de s’installer.
«Nous avons assisté au même scénario qu’en Syrie, observe Jean-Marc Rickli, professeur assistant au King’s College de Londres. Dans un cas comme dans l’autre, des combats ont provoqué un vide du pouvoir, qui a créé un appel d’air. Et le phénomène a permis à chaque fois aux groupes les plus radicaux de s’installer. La reconquête du terrain s’annonce très difficile dans ces conditions. Elle suppose l’usage de méthodes contre-insurrectionnelles et de combat urbain.»
«Créer des situations chaotiques»
Les événements en cours sont conformes à la stratégie djihadiste, développée dans un ouvrage de référence intitulé «La Gestion de la sauvagerie» (d'Abou Bakr Naji), remarque Jean-Marc Rickli. «L’ouvrage recommande de créer des situations chaotiques dans le but d’attirer de violentes représailles assurées de causer de graves dommages collatéraux. Dans l’état de guerre qui s’ensuit, les populations adoptent pour priorité absolue le retour de la sécurité et se montrent donc disposées à accepter la loi très dure des groupes radicaux, pourvu qu’elle garantisse leur survie.»
Les djihadistes ont étendu leur emprise sur Aden sans pour autant en prendre le contrôle. Ils ne s’en alarment guère pourtant et comptent sur le temps pour s’imposer. Et ce de deux façons. Ils misent d’abord sur «le principe de la tache d’huile» pour conquérir l’agglomération de proche en proche. Ils espèrent ensuite que les deux principales parties au conflit, les chiites houthistes alliés de l’Iran et le camp présidentiel soutenu par la coalition arabe, finiront par s’épuiser, que le pouvoir leur tombera des mains et qu’il ne sera plus qu’à ramasser.
Interactif. Notre carte interactive «La galaxie du djihad toujours plus menaçante»
La partie est très loin d’être gagnée cependant pour Al-Qaida dans la Péninsule arabique. Rien ne dit que son scénario se réalisera. Et s’il devait se confirmer, rien ne dit que les héritiers d’Oussama ben Laden en profiteront.
Une autre organisation est en train de monter en puissance au Yémen: l’Etat islamique, animé par les mêmes ambitions et mû par la même stratégie. Ses militants se sont aussi faits remarquer à Aden en intervenant dans les universités pour y exiger l’interdiction de la musique et de la mixité des classes.