Edouard Lefebvre n’était pas au tribunal de Paris jeudi 27 août pour la comparution immédiate d’une quinzaine de jeunes pillards et casseurs le dimanche précédent, sur la supposée «plus belle avenue du monde». Délégué général du Comité des Champs-Elysées, celui-ci avait pourtant misé sur un épilogue festif non violent du match Paris Saint-Germain-Bayern Munich à Lisbonne, en finale de la Coupe d’Europe de football.

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Raté. Dimanche 23 août, vers minuit, les «Champs» sont redevenus durant quelques heures le théâtre d’un chassé-croisé destructeur entre voyous et forces de l’ordre. Bilan: 158 interpellations, plusieurs voitures brûlées, plusieurs vitrines de magasins de luxe brisées. Le souvenir des nuits de violence lors de la crise des «gilets jaunes» est aussitôt remonté à la surface.

«Interdire l’avenue, c’est ruiner notre économie et tuer notre image. La laisser ouverte, c’est la ligne droite vers les pillages. On est le dos au mur», regrettait, dès le lendemain de cette soirée footballistique gâchée, ce promoteur inlassable des Champs-Elysées que Le Temps avait rencontré au pic des manifestations sociales de 2018. Un jugement confirmé, vendredi 28 août, par Emmanuel Macron devant la presse: «Quelque chose se passe dans notre société qui n’est pas neuf, mais qui sans doute s’est accéléré à la sortie du confinement, qui s’est durci: une forme de banalisation de la violence», a reconnu le président français. Laquelle est particulièrement inquiétante alors qu’un moment de possibles tensions va resurgir avec le procès des complices présumés de l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Il s’ouvrira mercredi et durera trois mois.

«Des gamins qui ne respectent rien»

La veille, au tribunal de Paris, la quinzaine d’auteurs présumés des saccages et caillassages contre vitrines et abribus sur les Champs-Elysées ressemblaient à ceux qui, depuis des mois, sont appréhendés par les forces de l’ordre au fil des «rodéos urbains» à moto devenus récurrents. Dans le box des accusés? Des jeunes souvent sans casier judiciaire, descendus à Paris pour «fêter la finale» du PSG avant de jouer aux émeutiers. Cissé a 21 ans. Il est soupçonné d’avoir participé au pillage d’une boutique de vêtements. Les images des caméras de surveillance le montrent à l’intérieur, une fois la vitrine éclatée, en train de se pencher pour ramasser des chemises. Son voisin, lui, a été ceinturé par les policiers alors qu’il dévalisait le rayon alcool d’un magasin Franprix. Un autre a profité du chaos pour menacer le gérant d’une pharmacie de l’avenue, dans l’espoir de vider la caisse.

L’histoire semble se répéter. Lors de la crise des «gilets jaunes», à côté des Black Bloc anarchistes, des bandes de pillards avaient sévi. La semaine dernière, tous les prévenus ont démenti avoir entonné – comme d’autres jeunes masqués filmés ce soir-là – des insultes envers la France et les Français. «Le pays n’est plus seulement violent, juge un policier, ancien du renseignement intérieur. Il devient invertébré. Ces jeunes pensent que casser est normal. Ce ne sont pas des criminels. Ce sont des gamins qui ne respectent rien ou qui n’ont rien à perdre car ils savent qu’ils seront relâchés. Ils pensent que les magasins des centres-villes sont là pour se servir.» Une trentaine de personnes seulement, après les violences parisiennes, sont toujours incarcérées.

«Ensauvagement»

Fin juillet, le nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a promis de stopper «l’ensauvagement de la société». Le terme revient depuis en boucle, repris ce week-end par l’hebdomadaire de droite radicale Valeurs actuelles dans sa une: «Ensauvagement. 60 jours dans la France des nouveaux barbares». Au menu? Les rodéos urbains sur lesquels deux députés (Natalia Pouzyreff et Catherine Osson) se sont vu confier l’élaboration d’un futur plan d’action par le Ministère de l’intérieur, mais aussi la montée des violences intercommunautaires comme à Dijon entre Tchétchènes et Maghrébins ou la prolifération des affrontements meurtriers liés au trafic de drogue à Grenoble dans le quartier Mistral.

Ensauvagement? Le procureur de la République de Paris Rémy Heitz, l’un plus hauts magistrats français, l’a confirmé récemment à sa manière: «La délinquance repart, c’est un fait. Les gardes à vue ont nettement augmenté depuis la relâche du confinement. Les vols, parfois avec violences et avec armes, reprennent dans les petits commerces et les pharmacies.» Le Ministère de l’intérieur, qui avait communiqué sur la baisse de 70% des actes de violence du 17 mars au 10 mai 2020 par rapport à la même période de 2019, reconnaît que les chiffres sont aujourd’hui plus hauts que l’an dernier. S’y ajoute la liste des «embuscades» contre les policiers et… les pompiers, comme en Haute-Garonne où les soldats du feu de Toulouse, visés par des projectiles, ont porté plainte.

Des pistes d'explications

Les explications? Quatre sont souvent formulées. Le séisme (complication des approvisionnements, nombreuses initiatives individuelles propices aux règlements de compte) provoqué chez les petits trafiquants et revendeurs de drogue par le confinement. L’absence d’activité scolaire et universitaire depuis mars 2020 jusqu’à la rentrée prévue ce mardi 1er septembre. La quasi-absence de boulots d’été et la forte baisse des départs en vacances dans les milieux populaires, en particulier les «colonies» offertes par les municipalités. Ces jeunes s’étaient habitués. Mais aussi, ce qui est bien plus difficile à manier par le gouvernement français car politiquement très sensible: les heurts communautaires attribués par les services de renseignement à l’arrivée des nouveaux migrants ou aux revendications d’adolescents déscolarisés, qui déstabilisent les «frontières» anciennes. «Je manque d’interlocuteurs sociaux. Les «grands frères» sont débordés. Les actions sociales deviennent des guichets. On entre dans une logique de chantage: «vous payez ou on casse tout…» reconnaît, sous le couvert de l’anonymat, un ancien maire de banlieue, démissionnaire en 2018.