La justice marocaine a montré mercredi son visage le plus impitoyable lors du procès en appel des accusés dans l’affaire du double assassinat d’Imlil. Le Suisse Kevin Z. écope de 20 ans de prison, ni plus ni moins qu’en première instance. Deux heures de délibérations auront suffi pour statuer sur le sort des 24 prévenus: toutes les peines sont confirmées sauf deux d’entre elles qui sont aggravées, à la stupéfaction des avocats qui s’attendaient à une relative clémence pour ceux des accusés qui n’avaient pas de sang sur les mains.

Kevin Z. n’a pas eu le temps de réagir à l’énoncé du verdict avant d’être emmené à la va-vite hors de la salle d’audience du Tribunal de première instance de Salé, près la Cour d’appel de Rabat, la capitale marocaine. Il était impassible et comme anesthésié, explique son épouse Fatima qui a pu lui faire quelques signes de connivence: «Je vois qu’il souffre, qu’il est à bout, d’ailleurs il est blanc comme un linge.»

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Les accusés ont raillé la défense

Kevin ne s’est pas exprimé durant l’audience comme il aurait pu et avait prévu de le faire. Son avocat, Me Sahli, l’a fait pour lui. Ce dernier a d’ailleurs éclaté en sanglots en évoquant la mère de Kevin, ce qui a suscité les moqueries de certains accusés tancés par le juge qui a appelé au respect de la défense.

La sentence clôt une affaire qui a secoué l’ensemble du royaume en raison de la cruauté des assassins et de leur appartenance revendiquée à la mouvance djihadiste. Dans la nuit du 17 décembre 2018, à Imlil, sur les pentes boisées du mont Toubkal dans la région de Marrakech, trois citoyens marocains décapitaient au couteau de cuisine Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et son amie Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans. Les meurtriers se font vite arrêter et, dans la foulée, ce qui est décrit comme un réseau de djihadistes est démantelé. En tout, 24 individus, parmi lesquels Kevin Z., ont passé devant les juges.

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L’assassin principal souhaite la peine de mort

Les trois principaux accusés (Abdessamad El Joud, Younes Ouzyad et Rachid Afati), qui ont reconnu les faits, écopent de la peine capitale comme en première instance, même si cette dernière ne sera probablement pas appliquée en raison d’un moratoire. Un quatrième (Abderahmane Khalayi) voit sa peine passer de la perpétuité à la peine de mort; il avait pourtant rebroussé chemin et abandonné, pris de doutes, le trio assassin. Les autres prennent entre 5 ans – pour celui qui a seulement présenté une personne à une autre, sans savoir de quoi il retournait – et la prison à vie.

La lourdeur des peines prononcées peut laisser à penser que les coupables sont châtiés à la mesure du crime horrible qu’ils ont commis. Il n’en est pourtant rien car il y avait deux procès en un et deux groupes distincts sur le banc des accusés: le premier, celui des assassins qui n’ont exprimé aucun regret et revendiquent leurs actes. 

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Le meneur, Abdessamad El Joud, a même utilisé son dernier temps de parole pour fustiger les droits de l’homme et le moratoire sur la peine de mort comme s’il préférait mourir tout de suite. Ceux du deuxième groupe, en revanche, se sont tous désolidarisés des exactions commises. Ils sont d’ailleurs condamnés pour des broutilles ou des faits pour lesquels on ne les aurait pas poursuivis en Suisse. L’un d’entre eux a, par exemple, sous la menace, consenti à donner de l’argent aux meurtriers.

«Le combat de David contre Goliath»

C’est aussi le cas de Kevin Z. dont il est prouvé qu’il n’était pas au Maroc au moment des faits, qu’il avait coupé toutes relations avec les meurtriers et qui n’est condamné que sur le témoignage de deux des assassins qui se sont ensuite rétractés. Ce qui reste, ce sont des paroles en l’air proférées plus d’une année avant les faits. «Ses déclarations à la justice démontrent en tout cas qu’il est victime d’une infortune. Il a précisé qu’il n’avait rien à voir avec le projet des meurtriers et leur idéologie.

Il n’est pas le seul accusé à l’avoir dit. Bon nombre d’entre eux ne devaient pas se retrouver au banc des accusés. C’est mon intime conviction. Par ailleurs, Kevin Z. a reconnu que sa seule erreur est de n’avoir pas dénoncé les auteurs du crime avec qui il avait rompu plus d’un an avant les faits. Est-ce qu’il mérite pour autant 20 ans de prison, sachant que la non-dénonciation ne figurait pas dans l’acte d’accusation?» analyse Faiçal Faquihi, journaliste d’investigation au quotidien marocain L’Economiste et l’un des meilleurs chroniqueurs judiciaires du royaume chérifien.

Pour Saskia Ditisheim, l’avocate suisse de Kevin Z., c’est un coup de massue: «Je suis abasourdie par la décision des juges d’appel qui se sont montrés d’une sévérité extrême. Me Sahli n’a pas démérité, au contraire, mais nous avons l’impression que nous, les avocats, n’avons servi à rien. C’était le combat de David contre Goliath.» «Kevin Z. a 10 jours pour se pourvoir en cassation, puis 30 jours pour des observations écrites dès la notification du jugement, explique Me Ditisheim. Il est évident que nous nous battrons jusqu’au bout pour l’innocenter.»