L'attentat pourrait avoir été fomenté contre le gouverneur de la province, Youssuf Pachtoun, présent dans les parages à ce moment. «Malgré de nombreuses précautions, il y a toujours des fuites sur ses déplacements, confie le responsable de la sécurité de Kandahar, joint par téléphone. Il n'est pas si compliqué de connaître ses trajets et ainsi, de préparer une attaque.»
Cet attentat est le deuxième perpétré à Kandahar en moins d'un mois. Le 6 décembre dernier, une bombe fixée sur le porte-bagages d'un vélo avait explosé en plein centre-ville à midi, provoquant déjà la mort d'une dizaine de personnes. Cette succession d'actes violents confirme que la tension monte dans le sud du pays, où les soldats américains sont à nouveau engagés dans des opérations contre les talibans. Des opérations toujours difficiles dans des régions montagneuses, où les terroristes comptent encore de nombreuses caches et disposent d'un réel soutien des populations locales. Fin décembre, les forces américaines ont annoncé avoir tué une centaine de combattants fondamentalistes et en avoir capturé une dizaine. «Quelques centaines de kamikazes auraient franchi la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan, confirme un militaire de l'Isaf, la force internationale qui sécurise Kaboul. Ils sont déterminés et prêts à tout pour enrayer le processus de paix, notamment depuis la fin de la Loya Jirga.»
Les institutions et les représentants du nouveau régime afghans sont en effet les cibles privilégiées de ce regain de violence. Nommé en août dernier par le président Hamid Karzaï, en remplacement de l'ancien gouverneur impliqué dans des histoires de corruption, le patron de la province de Kandahar, Youssuf Pachtoun, s'est fixé pour objectif de faire le ménage et s'entoure de nombreux miliciens pour sa propre sécurité.
De son côté, la Loya Jirga, la grande assemblée du peuple afghan, dont les travaux se sont terminés dimanche par l'adoption d'une nouvelle Constitution pour le pays, a essuyé de nombreuses menaces. Les talibans ont appelé, le jour de son ouverture, le 14 décembre, au sabotage de la réunion et à l'assassinat de délégués. Un appel aussitôt entendu. En trois semaines, Kaboul a renoué avec ses vieux démons. Une dizaine de roquettes ont été tirées sur la ville, sans faire de dégât. Une bombe a détruit le mur d'un bâtiment des Nations unies situé dans le centre et, le 28 décembre, cinq policiers ont été tués, alors qu'ils tentaient de maîtriser un terroriste d'origine tchétchène qui s'est fait sauter. Le docteur Jalal, chef de la sécurité du puissant ministre afghan de la Défense, le maréchal Fahim, a trouvé la mort dans cette explosion.
Selon d'autres sources, cette campagne d'actes terroristes pourrait être liée à une tentative du chef fondamentaliste islamiste Gulbuddin Hekmatyar de prendre langue avec le gouvernement. Le ministre de la Défense, vieil ennemi du leader pachtoune autrefois courtisé par la CIA, s'y serait opposé, et aurait ensuite été visé par l'attentat-suicide. L'Isaf et les services de renseignement américain et afghan affirment pour leur part qu'une soixantaine de kamikazes se tiennent prêts à passer à l'action dans la capitale.
La recrudescence des attentats fait enfin craindre une réorganisation beaucoup plus rapide que prévue des talibans, épaulés par les combattants arabes d'Al-Qaida. A Qalat, chef-lieu de la province de Zabou, situé à 300 km au sud de Kaboul, les escarmouches entre des militaires gouvernementaux et des talibans ont repris. Les Américains et les Afghans y avaient pourtant mené, début septembre 2003, une vaste opération de «nettoyage», pour venir à bout des étudiants en religion. Trois mois après, tout semble à recommencer.